Le deuil : Fabien Boitard

Le deuil : Fabien Boitard
Le deuil (ou La gerbe), 2016. Huile sur toile, 132 x 106 cm. Détail.
Méta  -   Les objets de l'art

Fabien Boitard est un peintre français. Actuellement représenté par la galerie Renard Hacker, il a participé à de nombreuses expositions dans des institutions publiques. Œuvrant dans le registre figuratif, il est à l’origine de la polyfacture, méthode visant à combiner des factures appartenant à différents registres visuels. Réfléchissant à la façon dont chaque gestuelle implique une symbolique spécifique, il donne à voir l’articulation entre la peinture-matière et la peinture-sujet propre à cet art. C’est pour cette raison qu’il est l’invité de la rubrique « méta » tout au long de l’année 2025.

 

Orianne Castel : Nous évoquions le mois dernier vos tableaux « d’après l’Autre », des tableaux citations qui auraient pu trouver leur place dans la rubrique qui nous concerne aujourd’hui. En effet, l’onglet « Les objets de l’art » s’intéresse à ces objets particuliers (fenêtre, miroir et tableau) qui, lorsqu’ils sont peints, nous disent quelque chose de la conception de la peinture de l’artiste. Mais, comme nous avons déjà évoqué vos représentations de tableaux, j’ai choisi pour cette fois-ci une peinture intitulée « Le deuil » qui me semble représenter un miroir. Pouvez-vous nous la décrire ?

Fabien Boitard : « Le deuil », également intitulé « La gerbe », fait référence à la mort d’une relation amoureuse.

Si vous y voyez un miroir reflétant le papier peint du mur d’en face, pour moi, il s’agit d’une couronne de fleurs accrochée à un mur recouvert de motifs floraux… Au départ, j’étais parti pour peindre un portrait endeuillé d’une couronne de fleurs comme on en voit parfois sur les tombes, ces photographies des défunts qu’on encadre d’une couronne juste après leur mort. Le visage devait être en train de s’effacer mais, comme souvent en peinture, ce n’est pas ce qui s’est passé. Je voulais peindre une couronne de fleurs dans les fleurs alors j’ai commencé par peindre le mur fleuri et puis j’ai ajouté les fleurs de la couronne. Mon idée était de peindre « fleurs sur fleurs » (des fleurs différentes dans leur nature picturale) mais surtout d’ajouter un voile au centre et c’est petit à petit, en faisant la toile, que je me suis rendu compte que je peignais le deuil de quelque chose de plus personnel, la fin d’une relation.

J’ai effacé grossièrement le centre, j’ai récupéré le fond de fleurs du mur et je me suis arrêté là parce que j’ai trouvé que c’était juste. C’est difficile de décider du moment où il faut cesser de peindre. C’est compliqué de saisir l’instant où la composition exprime ce qui a motivé le tableau… Cela permet aussi la divagation. C’est ténu, fragile mais « Le deuil », sans visage, permet cela. Il est suffisamment ouvert pour ne pas être seulement l’expression de mon histoire, mais pour que d’autres personnes puissent projeter la leur, comme dans un miroir. Et d’ailleurs maintenant, il me semble à moi aussi qu’il s’agit d’une couronne-miroir, d’un miroir mortuaire.

O.C. : C’est drôle car j’avais bien perçu la dimension de deuil et, persuadée qu’il s’agissait d’un miroir, je pensais qu’il s’agissait d’une vanité. Comme j’ai vu sur votre site que vous classiez vos tableaux dans des rubriques correspondant aux genres traditionnels de la peinture, je comptais vous questionner sur ce genre de la vanité, mais dans quelle catégorie situez-vous ce tableau du coup ?

F.B. : Oui, cette nomenclature est liée à mon projet pictural qui est de reprendre les grands genres traditionnellement liés à la peinture figurative pour les renouveler. Au fil des siècles, la figuration a été découpée en différents genres (vanité, portrait, paysage, etc.) et il me semblait que la meilleure façon de donner une légitimité à la peinture à notre époque était de se confronter à ces genres qui font partie de son histoire et qui n’appartiennent qu’à la figuration.

J’ai fait plusieurs vanités, plusieurs portraits également, et quelques fois des portraits qui étaient des vanités.

Concernant « Le deuil », je ne sais pas, je n’avais pas vu la vanité et ce n’est pas non plus vraiment un portrait car, même si, au départ, ce devait être un visage presque effacé, je ne l’ai finalement pas peint. Je n’ai pas eu besoin de le faire car l’encadrement de fleurs, ce cadre que vous avez interprété comme celui d’un miroir, suffit effectivement pour signifier l’absence d’une figure… Le deuil de la figure ?… C’est une toile difficilement classable en définitive. Elle est entre la vanité, le portrait et peut-être aussi la nature morte, en jouant sur les mots. Je suis habitué à le faire car lorsque je revisite ces genres établis hier, il s’agit de raconter quelque chose du monde actuel. L’expression « nature morte », pensée en deux mots… Ça résonne autrement aujourd’hui.

 

Vue de l’exposition « En attendant les choses graves » à la Galerie Derouillon, Paris, 2016.

 

O.C. : Vous parlez de ces genres classiques mais ce tableau m’a étonnée également par sa bi- dimensionnalité. On lie souvent cet aspect à la peinture moderne qui l’aurait assumée là où la peinture antérieure cherchait à la masquer. Comment vous situez-vous par rapport à ça ?

F.B. : Oui, ce tableau est assez plat à cause du mur mais il y a quand même du relief avec cette couronne traitée en matière… Peinte avec le tube. En revanche, il est vrai que j’ai ramené l’ensemble au plan de la toile, par la texture notamment. Et, de fait, même si j’aborde souvent la peinture du côté de la fenêtre, c’est-à-dire comme un monde dans lequel on pénètre je contredis aussi quasi systématiquement cette dynamique avec des éléments qui ramènent le spectateur au plan, à la surface, à la matière. Il y a sans cesse un va-et-vient entre la fenêtre et le plan comme si je rappelais qu’il ne faut quand même pas entrer complètement dans le paysage. J’ai beaucoup travaillé cet aspect dans la série des « Battues » par exemple. Ce sont des paysages, avec leurs profondeurs, mais il y a des points orange fluo qui ramènent l’attention au niveau du plan. Ces points ne sont d’ailleurs pas peints, ce sont des gouttes que j’ai volontairement fait tomber à certains endroits et on est aussi ramené au niveau du plan de la peinture par ce geste. Les modernes dont vous parliez ont su rappeler que la peinture est avant tout de la matière et cet aspect m’intéresse beaucoup. Dans cette série, l’opposition entre la fenêtre qui invite à aller loin en profondeur et le plan qui nous tient en avant de la surface est accentuée par l’usage du flou. En effet, le flou, tout en permettant d’oublier la surface de la toile pour mieux pénétrer dans ce qu’elle raconte du paysage, souligne le net. Ce faisant, il met en évidence la goutte de peinture.

Entre ce flou et ce net, entre cette atmosphère lointaine et cette goutte de matière, se crée alors un espace en effet… Par la Polyfacture.

Je crois que j’aime les modernes pour cette façon d’assumer la surface. Le « tableau dans le tableau » dont vous parliez à propos du miroir est une façon plus symbolique d’aborder la question. Ces jeux de symboles m’évoquent la peinture figurative des artistes comme Van Eyck et, même si je peux parfois y avoir recours, je préfère signifier les choses via des gestes/ intentions et ce qu’ils portent en eux comme potentiels narratif/poétique.

 

 

Un tableau de la série « Battues ».

 

 

Certaines œuvres de Fabien Boitard seront visibles dans l’exposition « Derrière les fleurs, la montagne » qui se tiendra au Centre d’art La Mouche de Béziers de juillet à septembre.