Jusqu’au 8 juin, le musée Bonnard propose un nouveau regard sur les œuvres du peintre. L’exposition est à la fois thématique et chronologique. Riche de dessins, de peintures et de photographies, elle permet de parcourir l’œuvre de l’artiste de sa période nabi, très parisienne dans ses sujets, à celle poursuivie au Cannet jusqu’en 1947.
Bonnard n’est plus à présenter. Émule de Paul Gauguin, il crée en 1888, avec quatre autres jeunes peintres de l’Académie Julian férus de spiritualité, le groupe des Nabis, vocable qui signifie « prophètes » en hébreu. Succédant à l’impressionnisme, ils usent souvent de symboles pour rendre au tableau son potentiel imaginaire. Parmi eux, Bonnard, un peu moins mystique que les autres, dénommé « le Nabi très japonard », s’inspire de l’art japonais. Les principes esthétiques sous-jacents aux estampes, « images du monde flottant », semblent adaptés à leur projet et il s’applique à maitriser cette technique d’impression avant d’en traduire les spécificités en peinture.
La lithographie France-Champagne, 1891 tout comme la Promenade des nourrices, frise des fiacres, 1897 présentes dans l’exposition, illustrent cet engouement. On y trouve aussi une nouvelle acquisition du musée Au café, encre sur papier reprenant un format rappelant les estampes.
Parallèlement à l’exploration de son style japoniste dans une ambiance parisienne, Bonnard rencontre Marthe (1893), son modèle qui deviendra sa femme. Grâce à elle, il capte la nudité, la vie quotidienne et l’intimité des lieux qui le rend heureux.
Dans les nus de Bonnard, Marthe n’est pas toujours convoquée, mais qu’importe, ce qui est peint ce n’est pas la femme, c’est l’atmosphère d’une scène que le tableau s’applique à suggérer. En ce sens, les différents nus présentés au Cannet soulignent remarquablement la recherche esthétique du peintre.
Avec Marthe, dans le plaisir joyeux de la vie à la campagne, Bonnard saisit aussi la beauté de la nature. En effet, bien que gardant un ancrage parisien, le couple, dès 1912, s’accorde de longs étés à « la roulotte », maison normande au bord de la Seine. Cependant, le sud, et plus particulièrement Le Cannet, les attire et les conduit, une dizaine d’années plus tard, à acquérir « le Bosquet », maison qu’ils occuperont à temps plein à partir de 1939 jusqu’à leur mort.
Les toiles riches de couleurs ouvrant à un monde de sensations presque tactiles se succèdent dans l’exposition. Elles renvoient, pour la plupart, aux intérieurs comme aux extérieurs. À notre époque qui voit se démultiplier les expositions sur l’art et la nature selon une perspective écologique, il est d’ailleurs intéressant de noter que les figures humaines et les éléments naturels sont traités de façon similaires dans les tableaux de Bonnard au point de se fondre parfois les uns dans les autres. Même les fenêtres, motif également présent dans l’exposition, ne sont pas des mises à distance de l’environnement. Toujours ouvertes, elles sont une invitation à pénétrer le paysage plus qu’à le contempler.
Bonnard n’était pas un peintre de réseaux mais il était sociable. Il a nourri une amitié fidèle avec Vuillard, peintre qui avait rejoint les Nabis peu après leur fondation. Une des toiles de ce dernier Annette assise entre sa mère et sa grand-mère, circa 1906, souligne la proximité artistique des deux compères. Bonnard, par ses inventions picturales, a également fait des émules. Ainsi, Pierre Lesieur (1922-2011), qui a produit de nombreux tableaux intimistes et qui reprend l’usage des fondus de couleurs texturées dans ses fresques murales, est présent avec sa Cafetière jaune, 2010. Jacques Truphémus (1922-2017), le Lyonnais, est représenté par Petite Fenêtre au bouquet, 1973, une de ses scènes d’intérieur aux tons pâles. Enfin, Chuta Kimura (1917-1987), qui affirme que Bonnard a révolutionné sa façon de peindre, est mis en avant par son Nu au miroir, 1965.
Cette exposition, par son regard chaleureux porté sur le monde, ne peut, dans les temps troublés que la société traverse, que faciliter un ressourcement salutaire.