Équinoxe 2025 : Xavier Maurel

Équinoxe 2025 : Xavier Maurel
© Orianne Castel, 2021
À voir

Dans le cadre de la semaine de la poésie, du  21  au  31  mars  2025,  Art  Critique  donne  carte  blanche  à  Barbara  Polla, fondatrice d’une galerie-librairie en Suisse, d’exclusives Nuits de la Poésie, et co-organisatrice des soirées poétiques Équinoxe de nos confinements passés. Pour cette première édition par voie de presse, elle propose des écrits d’une sélection de dix créateurs, artistes et poètes dont elle accompagne le travail. En ce neuvième jour, elle nous fait découvrir « Cassandre au parapluie
photogramme noir et blanc rehaussé de rouge » de Xavier Maurel
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CASSANDRE AU PARAPLUIE. PHOTOGRAMME NOIR ET BLANC REHAUSSÉ DE ROUGE

 

à Rachel Labastie

Les meurtriers et les morts sont liés par le même sang.

Sophocle

 

Au-dessus, pris dans les rets d’un filet comme un chalut,

Dans le tissu d’un voile blanc noir comme un dais,

Formant coupole sur la ville comme un œil qui pleure,

Est-ce un roi, est-ce un homme ? N’est-ce qu’un ciel trop bas ?

 

Elle marche sur un quai, un boulevard, sur un tapis de cendres,

Sa main gauche couvre son sexe, dans la droite un parapluie.

Dans sa robe de poussière, elle ânonne des mots à peine intelligibles,

Comme si une flamme noir et blanc brûlait dans sa parole.

 

Toutes les paroles de tous les dieux ont laissé sa parole

Stérile de toute parole, et autour d’elle comme un chœur édenté

Toute la flotte des pigeons noir et blanc aux yeux rouges

Piaille inlassablement : « on te croit, maintenant, on te croit ».

 

Maintenant précisément qu’il n’y a plus rien à croire.

Maintenant que celle à qui tout fut donné puis repris,

Celle dont on néglige de savoir si elle repousse ou protège le malheur,

Est réduite à prédire que tout est accompli. Ainsi dit-elle en vrac :

 

La hache bisaiguë, les trois vaisseaux, le baiser de l’Oblique,

Sa langue dans sa bouche versant salive et vierge viduité,

Ce premier viol ainsi troqué contre un viol pire que le viol ; et le second,

Abouti celui-ci, et la conséquente folie des mortels et des flots ;

 

La cellule où un père – est-ce un roi, est-ce un homme ?

L’avait recluse et close et cousue et gardée et perdue ;

Une mère changée en chienne, des frères inassouvis, des hommes,

Une sœur, une autre sœur, des hommes, et des unions funestes,

 

Un long voyage sur la mer en furie, tout le désordre en somme

D’une vie de femme. Pourquoi répondre à une question jamais posée ?

Elle marche, n’ayant plus à répondre de rien, et, sur le tapis de cendres,

Chacun de ses pas est une question qui s’efface puis se pose à nouveau.

 

Et celui-là – est-ce un roi, est-ce un homme, n’est-ce qu’un ciel trop bas ? –,

Qui expire au-dessus d’elle comme un gros poisson dans un chalut,

Et qui l’avait prise comme esclave ou comme épouse, elle ne sait !

Peu importe désormais, une pluie rouge tombe sur les pigeons.

 

Indifférente, et son parapluie blanc révélant son visage,

Elle marche, une main couvrant son sexe d’une nuit transparente,

Tandis qu’à son pied nu un bracelet de porcelaine la relie

Par une chaîne sans fin à l’extermination et au désastre.

 

Elle le sait bien, que tout désir est une malédiction,

Que la beauté est une disgrâce, et l’amour une enclave

Dans la monstruosité de l’amour ; ainsi de son pas lent

Elle marche sur un quai, un boulevard, sur un sang cru qui ne sèche pas.

 

Paris, 2 juin 2024

 

Xavier Maurel est metteur en scène et écrivain. Il a été conseiller artistique au Théâtre du Nord ainsi qu’au Théâtre 95 (Cergy-Pontoise) et adjoint du directeur au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de 2007 à 2013. Il a fondé et codirigé de 2013 à 2016 la compagnie « Se non è vero », mis en scène une vingtaine de spectacles et enseigné l’art dramatique. Il est l’auteur de textes, adaptations et traductions pour le théâtre, de scénarios pour la télévision et le cinéma, et du livret de l’opéra Guru de Laurent Petitgirard, créé en Pologne en 2018, et créé à nouveau à Nice en 2024 dans une mise en scène de Muriel Mayette-Holtz.
Il a publié plusieurs livres de poésie et de théâtre et dirige avec Gilles Jallet la revue de poésie et les éditions Monologue. Il vient de mettre en scène Faire semblant d’être moi de et avec Luce Mouchel. Il participe régulièrement aux manifestations organisées par la galerie de Barbara Polla, écrivant et performant des textes dédiés aux artistes avec qui elle travaille, à Analix Forever à Genève et ailleurs à Paris, et collabore souvent avec Véronique Caye.