Dans le cadre de la semaine de la poésie, du 21 au 31 mars 2025, Art Critique donne carte blanche à Barbara Polla, fondatrice d’une galerie-librairie en Suisse, d’exclusives Nuits de la Poésie, et co-organisatrice des soirées poétiques Équinoxe de nos confinements passés. Pour cette première édition par voie de presse, elle propose des écrits d’une sélection de dix créateurs, artistes et poètes dont elle accompagne le travail. En ce quatrième jour, elle nous fait découvrir « un axiome de paradis » de Nicolas Etchenagucia.
UN AXIOME DE PARADIS
kairos
le paysage s’enroule et se déroule se plie s’ennuie
la pellicule d’un film
lumière passe
aujourd’hui nuances de bleu
une cuillère puise l’identique dans le mille-feuille d’images
la route empruntée si souvent devient coupure qu’un poignard a tracée
corps te rattrape sur les lignes de fuite
sexe brûle amour
le fruit d’une collision ville lumière
moi aussi je suis tombé dans un feu
( )
sainte érection te regarde bientôt de loin
totem vu de la lune émerge de terre
kairos kairos
prend racine en son cœur
les roues de l’autocar embrasent pétrole jour des feux
brûle coule dans nos veines
le visage de Perama disparaît peu à peu magma de particules
silhouette d’une cité
lévite à quelques centimètres du sol
cercle de chaux blanche
la plante des dieux écrase et pue susurre souffle violence
fatiguée lasse du monde la lumière
les visages rectilignes interchangeables
des regards croisent le tien
des flèches prêtes à traverser ta chair
kairos
entre la peau et phantasma
il n’y a de frontière
( )
l’autocar crache corps
bouche béante rassasiée à digérer
tu pénètres à nouveau la ville
la lumière physique
te touche te change
il y a de la jouissance là
kairos kairos kairos
lumière fatiguée
traverse trop de mondes
tient bon
contient porte des mondes
le monde l’immonde
le paysage arraché par l’écran intégré
tes yeux se posent sur un interligne
bye bye binary magnifique
cheveux blondes paille de l’enfance
tu ne comprends pas autour de toi
tu écoutes la musique d’une langue antique
tu es l’étranger
qu’est ce qui passe quand on ne comprend pas la langue
les phrases volent dans l’atmosphère
chatouillent le coin d’une bouche
remontent le long des joues
finissent absorbées dans les trous
molécules s’agrègent autour d’une gorge d’un intestin
et les organes disparaissent
les choses veulent enfermer dans une prison techno cocon
elles cachent aussi la clef
il s’agit de prononcer le mot des catastrophes en cours
apocalypse il est temps de lever le voile sur nos visages
Nicolas Etchenagucia fabrique des films et des poèmes / fait pousser un enfant et des légumes. Il vit et travaille en France pour l’instant.