Dans le cadre de la semaine de la poésie, du 21 au 31 mars 2025, Art Critique donne carte blanche à Barbara Polla, fondatrice d’une galerie-librairie en Suisse, d’exclusives Nuits de la Poésie, et co-organisatrice des soirées poétiques Équinoxe de nos confinements passés. Pour cette première édition par voie de presse, elle propose des écrits d’une sélection de dix créateurs, artistes et poètes dont elle accompagne le travail. En ce huitième jour, elle nous fait découvrir «Demain a été annulé. Aujourd’hui disparaît. Hier va naître. » de JiSun LEE.
DEMAIN A ÉTÉ ANNULÉ. AUJOURD’HUI DISPARAÎT. HIER VA NAÎTRE.
Hier est pourtant passé.
Mais il est si vivant… Plus net encore que l’instant que je traverse.
Le présent appartient moins à la conscience qu’à l’inconscient.
Ah, une démangeaison sur mon oreille… Oui, mes oreilles sont bien là.
Mon ventre gargouille… Tiens, il commence à se vider.
Quand aujourd’hui aura basculé au-delà de l’horizon, alors seulement je m’en souviendrai.
Le bouton rouge apparu ce matin aura-t-il disparu demain ?
Ah, mais demain n’existe pas.
Cette nuit, en m’endormant, je me réveillerai dans un nouveau « aujourd’hui ».
Demain, je l’imagine seulement. Je l’ai toujours fait.
Dans le prochain aujourd’hui, un nouvel hier prendra forme.
Celui d’aujourd’hui ne restera peut-être pas longtemps dans ma mémoire… ou peut-être que si.
Tiens, cette fois, c’est mon sourcil qui me chatouille.
Il est déjà temps de me couper les ongles.
Je trace une ligne.
Sur la feuille blanche, il m’a fallu cinq secondes d’hésitation pour poser la première.
La deuxième, deux secondes. Dès la troisième, une seule seconde suffisait.
Ces comptes n’ont pas de signification. Je ne suis pas une machine.
Chaque ligne, chaque espace entre elles, est unique.
La feuille, vide et lisse, est devenue onduleuse.
Elle s’est chargée de temps.
Parfois, je dépose des points, comme des souffles de vent sur le papier.
Portés par ces souffles, vibrants au rythme des lignes, des êtres anonymes s’animent sur cette surface.
Le temps coule pareillement dans hier, aujourd’hui et dans l’inaccessible demain.
Alors je le capte à ma façon, dans mon corps, dans mon esprit, et dans mes rêves tumultueux.
Nous sommes aujourd’hui.
Un nouvel hier est sur le point de naître.
JiSun LEE, née à Séoul, aujourd’hui basée à Paris, est une artiste multimédia diplômée de l’ENSA Dijon : Ji, la sagesse, et Sun, la gentillesse, multi ou entre deux, comme sa culture, son identité, sa langue. Elle dessine, peint, filme, anime, compose, joue et écrit, traversant librement les frontières et les constellations. Elle tisse des rêves et des souvenirs, des ombres et des éclats, explorant le temps en mouvement, la mémoire et l’espace.