Pour clore cette semaine de la poésie durant laquelle Barbara Polla (fondatrice d’une galerie-librairie en Suisse, d’exclusives Nuits de la Poésie, et co-organisatrice des soirées poétiques Équinoxe de nos confinements passés) nous a fait découvrir des écrits d’une sélection de dix créateurs, artistes et poètes dont elle accompagne le travail, nous publions un de ses poèmes. Il s’intitule « Perdre ».
PERDRE
À Annie Le Brun
Et Rutebeuf
Perdre
Me perdre
Me perdre moi même
Dans les infranchissables forêts
Les indéracinables forêts de l’imaginaire
Perdre pied
Les pieds dans le ruisseau
Perdre pied talon cheville genou
Talon d’Achille cheville
de Gradiva genou de Claire
Perdre le nord
le sud l’est et l’ouest
Il reste le sud-ouest
Y perdre ma liberté
La rechercher au fond des poches
Perdre pied encore
Déséquilibre
Perdre la marche
Perdre la vie
La retrouver ailleurs
Perdre la guerre
Perdue pour perdue
Elle ne peut qu’être perdue
Perdre la direction
du front
Laisser venir l’horizon
Perdre la lune
Perdre la plume
Pierrot le fou
Perdre mes dents
Perdre le sens
de l’orientation
Perdre le temps
Pour retrouver l’espace
Perdre le goût
L’arbre de mon enfance
La maison les souvenirs la tarte fine
aux abricots le sirop de sureau
Les tables dressées pour les jeunes gens
Sous les marronniers roses
Perdre la danse perdre le la
Perdre la face
Perdre l’honneur
Perdre mon train
Mon train de vie
Perdre l’avion perdre l’envol
Perdre mes amis
qui ne l’étaient pas vraiment
C’étaient amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Perdre le vent le vent du nord
Et puis la tramontane
Au crépuscule
Perdre la tête
La tête dans les nuages
Perdre au jeu
Ce qu’il me reste qu’il me reste à perdre
Perdre mon chemin
Mais sans jamais perdre de vue
Le rythme de mes pieds
Barbara Polla est médecin, écrivain, éditrice, commissaire d’expositions, étudiante en philosophie, fondatrice d’une galerie-librairie à Genève, Analix Forever Livres, poète dans l’âme et amoureuse de la vie. Elle a quatre filles et aime citer cette phrase de Pablo Neruda « La poésie est toujours un acte de paix ».
