À l’occasion de la foire Art Paris en 2024 dont l’une des thématiques était Art and Craft, Laurent Pernot et Patrick Kim-Gustafson avaient eu l’occasion de se rencontrer et de ressentir des connivences pour leur rapport aux matériaux naturels. Tous deux éprouvent une empathie face au monde vivant. Leurs échanges les ont amenés à associer leurs œuvres pour inciter le spectateur à ouvrir des pistes de réflexion autour du bois, de sa temporalité et de la mémoire qu’il incarne. L’exposition actuelle à la galerie Marguo continue de tisser des fils de contact entre leurs pratiques.
Laurent Pernot réunit des œuvres issues de sa série Les rêves noirs, des paysages qui font écho au cycle de régénérescence après le feu. Il associe des matériaux aux temporalités différentes, le bois brûlé, le marbre, des feuilles d’or, pour donner à voir le processus de transformation d’un milieu. Les éléments découpés et accolés révèlent leurs caractéristiques, notamment la fragilité du bois brûlé qui se rétracte et impose une certaine adaptabilité de l’artiste face à son matériau. Son travail, de l’ordre de la combinatoire d’éléments, peut également évoquer une tentative de restauration des écosystèmes. Si ses œuvres ont pour sujet la force du feu sur les terres, elles n’ont rien de dramatiques, sont plutôt teintées d’espoir et incarnent la résilience de la nature, l’émergence d’un renouveau. L’une dans cette série montre un bouquet de fleurs en train de faner, sublimé par le travail à la feuille d’or, suggérant une quête d’éternité pour préserver une beauté éphémère. Plus loin, sa série des Fire poppies, réalisée à partir de bois brûlés, résulte de sa curiosité pour les pavots de Californie qui poussent après un incendie. Les pétales présentent une densité colorée : des éclats de lumière qui attirent l’œil de loin. L’artiste a privilégié une ligne fluide pour raviver la légèreté des pétales de ces espèces qui ne restent ouvertes que seulement quelques jours.
Sa vidéo Burning the sky montre l’envol d’un condor royal dont les ailes sont comme envoûtées par des flammes. L’oiseau en voie de disparition se métamorphose en phénix, cet animal mythique qui renaît de ses cendres. Poétique et dramatique, cette œuvre invite à s’interroger sur les conditions de vie de ces oiseaux vénérés.
Une certaine douceur, un profond respect pour le vivant et la nécessité de préserver des moments poétiques émanent des œuvres de Laurent Pernot. Ses travaux donnent à voir des levers et des couchers de soleil face auxquels prendre le temps de contempler des changements d’ambiance. Derrière l’atmosphère sombre, des lueurs annoncent des lendemains où la nature semble résister, se régénérer.
En dialogue avec cet univers poétique, les sculptures tabourets en bois de Patrick Kim-Gustafson s’apparentent à des êtres de la forêt qui font écho au folklore suédois. Pour les réaliser, l’artiste-designer utilise des poutres de chêne, récupérées lors de promenades, qu’il travaille avec la technique du yakisugi japonais, processus de carbonisation qui préserve le bois. Travaillant par soustraction de matières, il établit une sorte de conversation avec son matériau qu’il prend soin de poncer pour lui donner un aspect charnel. L’expérience du temps long avec le bois l’amène à se replonger dans les récits collectifs avec lesquels il a grandi. À la galerie, regroupées, ses pièces à la frontière entre l’œuvre d’art et le mobilier forment une communauté d’individus en conversation face auxquels se raconter des histoires.
La question du temps de la matière et la patience d’un travail en complicité avec elle se rejoignent dans les travaux de Laurent Pernot et de Patrick Kim-Gustafson. Laurent choisit ses matériaux pour les symboles auxquels ils renvoient tandis que Patrick prend soin de son matériau pour des pièces à valeur d’usage. L’exposition invite à une promenade lors de laquelle méditer face à la fragilité du vivant, aux changements qui marquent les paysages et à songer à leur devenir.