Les références au Paris artistique du XXe siècle, ses communautés étrangères comme ses avant-gardes en tous genres, sont assez largement traitées par les institutions muséales. Présentant des œuvres connues non seulement des amateurs mais aussi des néophytes, les accrochages successifs surprennent rarement. Pourtant, le musée Cernuschi parvient à étonner grâce à l’exposition des créations de Lê Phô, de Mai-Thu et de Vu Cao Dam visible jusqu’au 4 mai.
Le musée des arts de l’Asie présente pour la première fois en France une rétrospective forte de 150 œuvres issues de 25 collections des trois pionniers de l’art moderne vietnamien. Anne Fort, commissaire scientifique et conservatrice responsable des collections vietnamiennes, met en relation les œuvres de Lê Phô (1907-2001), Mai-Thu (1906-1980) et Vu Cao Dam (1908-2000) et leur « envie de connaître l’effervescence artistique de Paris, où les artistes de tous les horizons se retrouvaient alors ». Présentant en arrière-plan le contexte franco-vietnamien, elle souligne la part de liberté des artistes qu’elle a choisi de présenter.
Lê Pho est venu le premier à Paris, en 1931, dans le but d’assister Victor Tardieu dans l’aménagement de la réplique du temple d’Angkor Vat lors de l’Exposition coloniale du bois de Vincennes. Il a marqué la capitale en présentant sa Maison familiale au Tonkin, huile sur toile d’environ 2 mètres sur 4,5 mètres peinte deux ans plus tôt à Hanoï et désormais conservée par la Cité Internationale Universitaire de Paris.
Plus que par leurs dimensions, les œuvres de Mai-Thu, arrivé dans la capitale six ans plus tard, se distinguent par leurs configurations inhabituelles. En témoigne son quadriptyque des Quatre saisons (1974) présenté dans l’exposition. Faisant suite à sa période de pastichage des chefs-d’œuvre occidentaux des années 1960, cette œuvre tardive se distingue par ses traits fins et ses couleurs délicates appliquées sur de la soie.
Le peintre, mais aussi sculpteur, Vu Cao Dam est celui dont les œuvres semblent les plus liées aux pouvoirs politiques. Son Portrait de sa majesté Bao Daï, empereur d’Annam (1932), son Buste de Paul Reynaud (1933) alors ministre des Colonies et son Buste de Mademoiselle Colette Reynaud (1932) fille de ce dernier, se côtoient dans l’exposition. Ainsi, son œuvre apparaît comme un témoignage direct du passé même si certains de ses tableaux, plus symboliques, exposent une vision davantage personnelle. Il en est peut-être ainsi de son Combat de coqs, toile représentant la lutte de deux coqs. L’animal étant un symbole de chance dans la tradition vietnamienne mais également un emblème de la France, il est possible d’interpréter cette scène comme la difficile synthèse de ces deux cultures.
Les trois artistes sont également montrés dans leur force collective, comme avec Vu Cao Dam entouré de Mai-Thu et Lê Phô, cliché issu des Archives Alain Le Kim pris en 1946 lors d’un accrochage du premier à la galerie Van Ryck de Paris. L’exposition de Cernuschi parvient à les présenter dans une sorte de fraternité au cours de leurs évolutions artistiques au fil du siècle, dont Anne Fort résume les étapes : « Première période indochinoise, puis celle des années 1940 et celle, à la fin, de la peinture à l’huile. »
Les réactions du marché de l’art liées à ces artistes témoignent depuis les années 1990 de l’intérêt qu’ils suscitent – un collectionneur contemporain connaisseur de Lê Phô et de Vu Cao Dam fait d’ailleurs partie des instigateurs de l’exposition. Mais, au-delà de ces trois figures, les regards portés depuis la France vers le Vietnam ne cessent de se multiplier. On espère ainsi être à nouveau surpris par le Musée Cernuschi.