D’après l’Autre : Fabien Boitard

D’après l’Autre : Fabien Boitard
Fabien Boitard, La Dame, (huile sur toile, 150 x 106 cm) et D'après l'Autre (huile sur toile, 73 x 60 cm), 2021.
Méta  -   Hommages, pastiches et citations

Fabien Boitard est un peintre français. Actuellement représenté par la galerie Renard Hacker, il a participé à de nombreuses expositions dans des institutions publiques. Œuvrant dans le registre figuratif, il est à l’origine de la polyfacture, méthode visant à combiner des factures appartenant à différents registres visuels. Réfléchissant à la façon dont chaque gestuelle implique une symbolique spécifique, il donne à voir l’articulation entre la peinture-matière et la peinture-sujet propre à cet art. C’est pour cette raison qu’il est l’invité de la rubrique « méta » tout au long de l’année 2025.

Orianne Castel : Nous avions terminé notre entretien précédent en convoquant Robert Filliou et j’aimerais, pour poursuivre la question de votre rapport aux artistes qui vous ont précédé, aborder votre série de peintures nommée « D’après l’Autre ». Je pense notamment à celles d’après « La jeune fille à la perle » de Vermeer et d’après « La Princesse de Broglie » d’Ingres. Ce sont deux œuvres très connues, comment les avez-vous peintes et dans quel esprit ?

Fabien Boitard. : Je les ai peintes d’après illustrations, à partir de documents trouvés en ligne. Je n’ai pas cherché la fidélité à tout prix, je ne suis pas copiste. Je souhaitais juste reproduire ces images en y apposant une « belle facture », qu’on ait l’idée d’un beau travail. En fait, de la même façon que je vais utiliser le flou et le net, je me sers des peintres, j’utilise mes pairs comme des outils. Je puise dans l’histoire de l’art et je prends ce qui m’intéresse.

Je respecte mes pairs, j’ai de l’estime pour ceux qui sont passés avant et qui ont contribué à faire avancer la peinture mais, en même temps, je n’ai pas envie de les sacraliser. Cette posture, entre respect et distance, remonte, dans mon parcours, à la mort déclarée de la peinture figurative. À cette époque, seules deux voies semblaient possibles. La première, qui correspondait à ma formation, était celle de l’art contemporain et de ses codes qui voulaient en finir avec la peinture figurative. La seconde était celle d’une pratique de la peinture réactionnaire très liée à l’image et non plus au dessin comme le maîtrisaient les anciens. Or, il me semble qu’à chaque fois que l’on ressort ces vieilles formes, cela correspond à un repliement de la société. Je trouve l’attitude des modernes beaucoup plus inventive formellement. J’ai donc voulu proposer une voie alternative qui ne soit ni un abandon de la peinture figurative ni la simple reprise d’images mono-facturées… Quelle que soit la facture ! J’ai donc cherché une voie qui puisse lier « bien fait, mal fait et pas fait ». Il y a des peintres qui essaient de faire émerger de nouvelles formes et de nouveaux concepts mais il y a aussi ceux qui se retranchent derrière l’image sans questionner leur médium… une posture qui, d’après ce que j’en sais, est historiquement liée à la propagande ou à la réclame.

O.C. : Les tableaux de cette série sont en effet bien exécutés mais on pourrait, avec ces œuvres, ajouter au « bien fait, mal fait, pas fait » de Filliou le « fait puis défait » puisque vous avez découpé vos toiles pour ôter les parties sur lesquelles étaient représentés les bijoux des personnalités peintes. Quel propos souhaitiez-vous tenir avec ce geste ?

F.B. : Dans ces toiles, j’ai découpé pour voler. C’est un geste qui abîme aussi et qui est en lien avec ce que je viens de dire. J’ai peint ces portraits très bien parce que j’ai acquis la technique qui me permet de le faire et que je cherchais à rendre visible cette idée du « bien fait » mais, si je les ai aussi bien faits, c’était pour mieux les abîmer/détruire. En fait, ces tableaux disent : « il faut être capable de faire bien, mais il faut aussi être capable de détruire ce « bien fait »… pour rester libre ». Certains sacralisent l’image sans même l’interroger. Fascinés par les maîtres, ils courent après sans jamais les rattraper. Personnellement, je défends une peinture qui produit des formes nouvelles en figuration pour mieux représenter ce monde. En ce moment, j’explore l’idée d’une autre perspective qui serait, pourquoi pas, à inventer. Ce genre de recherche me stimule par exemple.

O.C. : J’en reviens à vos destructions. Pourquoi avoir ciblé les bijoux ? Est-ce une façon de dire que le rôle de la peinture n’est pas d’être au service des puissants ?

F.B. : Oui et non. Il s’agit également d’une histoire personnelle, familiale. Mais l’interprétation que vous proposez me convient aussi. Mon but est de fabriquer des objets qui soient des réceptacles pouvant accueillir plusieurs sortes de regardeurs. Je désire emmener les personnes avec moi. Mais inévitablement, de mon côté, je fais passer mes propres histoires dont je n’ai d’ailleurs pas forcément envie de discuter.

O.C : Dans ce cas, revenons-en au propos sur la peinture. Il me semble que, par le titre même de la série « D’après l’Autre », vous adressez une attaque directe aux artistes dont vous citez les tableaux. Cet Autre en majuscule est un peu ironique, non ?

F.B. : On dit « d’après Machin », « d’après Bidule ». Dans « d’après l’Autre », l’autre, c’est l’autre peintre, c’est mon égal, il devient support. Je me sers de cette sacralité parce que je la malmène. Je la rends visible en la maltraitant. Il s’agit d’un travail assez iconoclaste, pas dans le seul but de détériorer les œuvres mais pour dire quelque chose. Ici, ce geste m’a permis de régler mes comptes. Je matérialise cette posture.

O.C. : J’imagine que vous n’avez jamais réalisé d’hommages mais quels sont les peintres qui vous ont le plus intéressé ?

F.B. : Non, en effet. Il faut que je puisse avoir recours aux classiques, à l’expressionnisme, à l’impressionnisme ou encore à Supports/Surfaces si j’en ai besoin mais je n’ai jamais fait d’hommages. Pour ce qui est des influences, j’en avais beaucoup lorsque j’étais un jeune peintre, celles de mon époque évidemment, mais, plus ça va, moins je regarde en arrière. Il y a tant de possibles. Si je devais absolument donner un nom, je dirais Picasso en raison de son approche boulimique de la peinture. C’est un artiste complet qui s’est continuellement déplacé. La Poly-facture n’était pas son problème, il ne l’a ni exercée de façon systématique ni théorisée mais, comme il n’était pas embêté par la technique, il pouvait aller partout où son cerveau l’emmenait. J’ai assez vite essayé de faire en sorte que la technique ne me limite pas, que la couleur et le dessin ne soient pas mon problème. Je ne dis pas que ce ne sont pas des problèmes en soi. Si on s’interroge sur une ligne ou sur une couleur, on peut y passer une vie entière. Mais ce n’est pas ainsi que j’ai choisi d’aborder la pratique picturale. Si on commence à se dire « la couleur est mon problème », elle devient alors un vrai problème.

O.C. : Et parmi vos contemporains, qui sont les artistes dont vous suivez le travail avec attention ?

F.B. : Il y a des tableaux qui me parlent plus que d’autres. Je traîne sur les réseaux où je vois beaucoup d’images. Quand je suis arrivé aux Beaux-Arts en 1993, l’informatique et les logiciels venaient d’y entrer. J’y ai découvert Photoshop et ses filtres ce qui m’a permis d’envisager autrement mon rapport à l’image. Il devenait soudainement envisageable d’intervenir sur des zones de l’image de façons très différenciées. L’image se transformait en support. C’est à partir de là que j’ai commencé à travailler les rapports de factures sur la toile via la facture/outil. Il s’agissait de composer avec des intentions plutôt qu’avec des couleurs. Le « JE » pouvait s’affirmer par ces choix. Il s’agissait de s’engager par les factures. Ensuite la maîtrise du dessin a amené le reste, comme l’énergie, la poétique et l’expression.

Naturellement, quand je regarde mes contemporains, j’y cherche mes propres questionnements. Toute une jeune génération pratique la Poly-facture désormais avec plus ou moins de talent, et parfois sans le savoir.

 

Certaines œuvres de Fabien Boitard sont visibles en ce moment dans l’exposition « That’s Oil Folks ! » qui se tient au Centre d’art La Station de Nice jusqu’au 12 avril.