Expositions abstraites en perspective

Expositions abstraites en perspective
Georgia Russell, The Light You Give, 2024. Photo : Gilles Mazzufferi. Courtesy Galerie Karsten Greve.
À voir

Les amateurs d’art abstrait seront ravis de l’apprendre, cette fin de semaine est marquée par l’ouverture de trois solos shows consacrés à des artistes ayant œuvré ou œuvrant encore dans ce registre.

 

Günther Förg chez Lelong & Co

Commençons dans l’ordre avec l’inauguration demain d’une exposition dédiée au peintre allemand Günther Förg à la galerie Lelong & Co. Intitulée « Paires », elle montrera côte à côte des petites et grandes versions d’une même composition. Né en 1952, soit environ 80 ans après les pionniers de l’abstraction (Piet Mondrian, par exemple, est né en 1872), Förg n’a pas eu à « inventer » les formes abstraites. Cinquante ans plus âgé que les artistes américains de la deuxième génération (Barnett Newman est né en 1905), il a, au contraire, évolué dans un contexte où elles étaient devenues, au même titre que l’annonciation ou que le portrait de cour, des classiques de l’histoire de l’art. Förg s’est fait une spécificité d’interroger l’évidence formelle de cette modernité en réinterprétant librement ses gestes et compositions typiques. Mais si l’artiste a fréquemment adopté les formats monumentaux des artistes comme Clyfford Still ou Robert Motherwell dont il copiait certains traits caractéristiques, il a aussi souvent, et de façon systématique entre 2002 et 2007, réalisé une réplique en petite dimension de ses toiles. Montrées côte à côte, à la façon d’une illustration qui viendrait témoigner de l’existence d’une toile, les œuvres de cette période témoignent du statut d’image de l’art abstrait, et en cela rendent hommage au projet même d’une peinture « d’après-moderne » de Förg.

 

Viswanadhan chez Nathalie Obadia

Poursuivons avec l’ouverture le lendemain, vendredi 17 janvier, de l’exposition Viswanadhan à la galerie Nathalie Obadia. Du nom de l’artiste indien installé à Paris, ce premier solo show que lui consacre la galerie, consistera en un focus sur des peintures réalisées entre 2000 et 2010. Né en 1940, soit quelques années avant Förg, l’artiste connaît lui aussi les abstraits européens comme américains. Il ne faut cependant pas chercher de citations parmi la quinzaine de toiles présentées ici. Formé aux arts dans la caste des Vishvakarma, le peintre a grandi dans une culture empreinte de spiritualité. Au « Who’s afraid of Red, Yellow and Blue ? » de Newman, il répond par les couleurs utilisées pour l’art rituel du kalamezhuthu : le rouge, le jaune et… le vert. Par ailleurs, si le tableau expressif du peintre américain était une réponse ironique à la théorie des couleurs de Mondrian qu’il jugeait trop intellectuel, l’artiste néerlandais n’est pas si loin de l’œuvre de Viswanadhan. On retrouve dans les entrelacs de bandes horizontales et verticales de l’Indien l’équilibre des contraires cher à Mondrian. Et pour cause, quand le travail de ce dernier se nourrissait de théosophie, celui de Viswanadhan est tout entier inspiré de la spiritualité hindouiste. La luminosité de ses toiles effectuées avec des peintures mêlées de caséine, révèle cette origine mystique.

 

Georgia Russel chez Karsten Greve

Enfin, terminons notre tour des expositions abstraites avec « The Pattern of Surface » consacrée à l’artiste écossaise également installée en France, Georgia Russel. Montrée par la galerie Karsten Greve, elle témoigne des dernières évolutions de cette artiste qui a pour spécificité de travailler au scalpel. En effet si on retrouve le principe de superpositions de surfaces entaillées chacune de manière différente propre à ses travaux sur papier, l’artiste a, cette fois, incisé des étendues d’organza préalablement enduites d’acrylique et de gouache. Avec ce tissu très fin qui recouvre les bords du support tout en les laissant transparaître, Russel poursuit sa réflexion sur le recto verso dans le cadre cette fois-ci complètement assumé du tableau. Proposant des peintures dont les compositions n’existent qu’en raison de la présence du mur blanc derrière la toile, elle nous rappelle qu’un tableau n’est pas seulement une surface mais un objet en trois dimensions. Là où Manet révélait la qualité d’objet du tableau à grand renfort de peinture, Russel nous expose cette matérialité grâce à du tissu aussi fin que de la soie. Et parce que l’artiste ne manque pas d’inventivité dans le mariage des contraires, ces nouveaux travaux mêlant découpes régulières et taches expressives combinent également l’ordre à l’anarchie.