Auto portrait à la GoPro : Fabien Boitard

Auto portrait à la GoPro : Fabien Boitard
Fabien Boitard, Auto portrait à la GoPro, 2014. (détail) Huile sur toile de 145 x 110 cm. Courtesy de l'artiste.
Méta  -   Autoportrait en artiste

Fabien Boitard est un peintre français. Actuellement représenté par la galerie Renard Hacker, il a participé à de nombreuses expositions dans des institutions publiques. Œuvrant dans le registre figuratif, il est à l’origine de la polyfacture, méthode visant à combiner des factures appartenant à différents registres visuels. Réfléchissant à la façon dont chaque gestuelle implique une symbolique spécifique, il donne à voir l’articulation entre la peinture-matière et la peinture-sujet propre à cet art. C’est pour cette raison qu’il sera l’invité de la rubrique « méta » tout au long de l’année 2025.

 

Orianne Castel : Nous avions consacré en 2024 une série d’entretiens à Agnès Thurnauer; c’est cette année votre tour et, pour l’inaugurer, je souhaiterais que nous abordions le sujet qui était au centre de la série menée avec Agnès : l’autoportrait. Vous en avez fait un qui s’intitule « Auto portrait à la GoPro » sur lequel on vous voit arborant une caméra GoPro sur le front. Ma première question sera donc, comment vous y êtes-vous pris pour réaliser ce tableau et qu’est-ce qui a motivé la mise en place de ce procédé ?

Fabien Boitard : J’ai fait ce travail en 2014, à une période où je sentais venir que l’écologie serait un des grands thèmes du futur, notamment pour les peintres, car c’est un sujet qui permet de reposer autrement la question du paysage. J’ai eu envie de sortir de l’atelier et de peindre sur le motif dans des conditions climatiques extrêmes. Pour ce tableau, il s’agissait du vent, mais j’envisage ce travail sous la forme d’une série. Il pourrait y avoir une toile effectuée en pleine canicule, une autre réalisée sous l’orage ou une autre peinte dans la neige par exemple. Je ne les ai pas encore réalisées parce que ça ne m’intéresse pas spécialement d’effectuer mon autoportrait tous les deux ans comme pouvait le faire Picasso. Je préfère peindre d’autres choses que ma tête mais je souhaite montrer l’activité de peindre dans ces conditions un peu difficiles qui sont de plus en plus les nôtres. L’utilisation, et la représentation, de la caméra GoPro, souvent employée dans les sports extrêmes, tire aussi la figure du peintre du côté du Rider. L’idée de représenter le peintre en aventurier m’intéressait aussi. J’ai donc opéré dans le sud de la France un jour de grand vent. J’ai beaucoup pensé à Van Gogh qui sanglait son chevalet de cordes pour lutter contre les éléments. J’ai fait la même chose : tout tombait et je devais recommencer sans cesse. On peut voir cette préparation sur la vidéo qui accompagne le tableau et qui fait partie de l’œuvre. Elle n’est pas de très bonne qualité mais sa définition m’importe peu. Ce qui compte c’est qu’elle atteste de la difficulté du peintre à faire son autoportrait dans l’élément du vent.

O.C. : Je trouve ce tableau très intéressant parce que vous avez voulu rendre visible ce vent mais vous n’avez pas choisi de le matérialiser en peignant, par exemple, une écharpe soulevée par son mouvement. Vous le signifiez sous une forme « schématique ». Vous représentez le vent sous la forme de petites vagues, tel que sans doute chacun de nous le ferait si quelqu’un nous demandait de symboliser le vent. Il me semble que ce mélange des registres est assez fréquent dans vos peintures. Pouvez-vous nous en dire plus ?

F.B. : Effectivement, l’écharpe qui vole au vent, ce n’est pas ma façon de représenter. J’ai plutôt essayé de trouver le geste adéquat pour signifier le vent. C’est le principe de la polyfacture : j’emprunte à toutes les façons de représenter. On peut signifier le vent de façon très naïve, très enfantine sous la forme d’une vague comme on peut le représenter de façon très réaliste à la manière des peintres hollandais en jouant de la lumière pour suggérer le mouvement. Mais en fait, il n’y a pas une représentation plus vraie que l’autre.

O.C. : Sur ce tableau, on peut lire le texte suivant : « Auto portrait à la  » go pro ». le vent. » Pourquoi avoir choisi de mêler ce langage verbal au langage signalétique dont nous venons de parler ? S’agissait-il d’utiliser un des autres langages disponibles pour signifier le vent ?

F.B. : Non, pas vraiment. En tout cas je n’ai pas cherché, par ce geste d’écrire, à faire de la polyfacture, mais j’ai tellement intégré cette façon de procéder qu’elle se fait peut-être parfois malgré moi. Je crois cependant avoir simplement voulu indiquer que ce portrait était né dans le vent et dans cette manière très désagréable de travailler. C’était vraiment de l’ordre de la performance.

 

 

Fabien Boitard, Auto portrait à la GoPro, 2014. Huile sur toile de 145 x 110 cm. Courtesy de l’artiste.

 

OC : Outre ce tableau, travaillez-vous souvent d’après image, imprimée ou observée sur écran ?

F.B. : Oui, il m’arrive de prendre des photos ou d’utiliser Internet comme une banque d’images quand j’ai besoin de représenter quelque chose de spécial, une fleur par exemple. Mais je prends ces documents comme des points de départ. Je pose les bases et je cesse de les regarder pour faire vivre les éléments représentés et pour que s’invente une histoire à partir d’eux. Je peux projeter les documents directement sur ma toile mais ce n’est pas systématique. De manière générale, je ne souhaite pas que mon travail obéisse à un protocole préétabli. Je n’exécute pas mes tableaux selon un processus qui se répète car sinon j’aurais l’impression d’aboutir toujours à la même œuvre. Je change donc très régulièrement ma façon de faire. Un jour je vais peindre sur le motif, un autre d’après des documents. Ça dépend également beaucoup du sujet. Si je peins un tableau sur la Shoah, j’ai besoin de m’appuyer sur des documents historiques (qui contiennent déjà en eux une esthétique photographique datée). Sinon, je travaille beaucoup d’après observation du réel et aussi, bien sûr, avec mon imaginaire. C’est le cas dans la série des tableaux « Dragon d’après souvenir » qui sont des œuvres d’imagination. Et, même si le titre laisse penser que j’ai rencontré ce dragon, il s’agissait plutôt d’une anticipation car j’ai commencé ces toiles représentant des dragons enflammant les paysages pendant le 7 octobre 2023.

O.C. : Quel est, de façon plus globale, votre rapport à l’image ? Je vous pose cette question car, en dépit de cette matérialité portée par certains éléments propres au pictural comme les taches au second plan, votre autoportrait reprend des codes de l’image (l’arrière-plan est flou comme quand on fait un focus sur le premier plan avec un smartphone, et vous êtes un peu gris) ; or le flou, notamment, est une facture qu’on retrouve dans plusieurs de vos œuvres.

F.B. : Je suis en effet peut-être un peu gris. Je ne suis pas un excellent coloriste et j’étais, ce jour-là, dans des conditions qui ne me permettaient pas d’apprécier les couleurs. Le tableau a été entièrement peint durant les deux ou trois heures que j’ai passées sur place. Je n’ai pas voulu retravailler la composition à l’atelier où j’aurais pu ajouter des jus roses pour atteindre une couleur de peau plus crédible. Ce n’est pas très important pour moi (Gauguin a bien peint des christs jaunes) mais ce gris n’avait pas pour but de mobiliser une esthétique particulière. Pour ce qui est du flou, en revanche, il fait appel au registre photographique. Tout cerveau objective les images à partir du moment où elles sont en noir et blanc, en flou, ou pixélisées. Quand on ajoute de la mécanique dans la touche, l’image nous semble plus vraie parce que ces codes appartiennent à l’image mécanique. Le cerveau associe la peinture à la photographie et se laisse tromper. J’ai cherché à faire mon flou pour qu’il ne présente aucune trace de la main. C’est un flou dans lequel on ne voit aucun coup de pinceau. C’est une technique très difficile à maîtriser mais quand ça fonctionne le résultat est très beau. De nombreux artistes ont travaillé le flou, notamment Richter dont j’apprécie l’œuvre, mais ce qui, personnellement, m’intéresse dans l’usage du flou, c’est qu’il permet de rendre les éléments qui ne le sont pas beaucoup plus nets. Je travaille beaucoup par contraste. Dans mes tableaux, le beau côtoie le laid, le violent le doux, et je trouve que souvent, quand la rupture est franche, la composition est plus belle. Il y a une beauté dans la radicalité de la rupture mais ça dépend évidemment du propos. Sur certaines toiles, les ruptures doivent être plus subtiles.

O.C. : J’insiste sur l’image mais j’ai été très frappée par cet autoportrait, de peintre donc, dans lequel on voit un regard (et encore, on l’imagine assez vif mais il est un peu voilé par le vent et en tout cas supplanté en termes de présence visuelle par le point rouge témoignant de l’enregistrement de la caméra) mais aucune main, l’une étant hors cadre et l’autre n’étant tout simplement pas peinte. Pourquoi avez-vous décidé de ne pas montrer ce « faire avec la matière » typique de l’activité de peindre ?

F.B. : En fait, outre le fait qu’elle apparaît dans la vidéo, la main est présente sur la toile à travers tous ces gestes que je viens d’évoquer. Elle est là à l’état de trace. Le faire est enregistré dans la peinture à travers l’ensemble des choix que j’ai effectués. J’ai inventé ce principe de polyfacture pour être amené à faire de vrais choix. J’étais aux Beaux-Arts à l’époque et, comme je me laissais influencer par mes camarades, mes œuvres n’étaient pas vraiment de moi. Elles étaient le résultat de demi-choix et j’étais toujours déçu. C’est la raison pour laquelle j’ai, durant ma deuxième ou troisième année d’études, mis en place ce principe qui est une façon de forcer le choix. Maintenant, je possède différents outils et je dois choisir lequel je vais utiliser, et cette facture-outil témoigne de mon intention vis-à-vis de l’image. Je suis présent dans l’ensemble de la facture alors représenter ma main n’était pas important. En fait, toute la difficulté réside dans le fait d’amener un geste pour son potentiel narratif.

O.C. : Et d’en mêler plusieurs ?

F.B. : Oui, il y en a toujours plusieurs mais ce ne sont pas des gestes collés les uns aux autres. Je n’aime pas la notion de collage, je lui préfère celle d’imbrication. Chaque geste amène son potentiel mais, combinés ensemble, ils forment un tout. Même si je travaille beaucoup à créer des ruptures, je souhaite produire un objet beau. Il faut qu’il puisse quitter l’atelier évidemment.

O.C. : En parlant avec vous de ce premier tableau mêlant des parties, comme le visage, très travaillé, à d’autres comme le vent, schématisé, ou à d’autres encore comme vos mains, non réalisées, je ne peux m’empêcher de penser au principe d’équivalence (« bien fait, mal fait, pas fait ») de Robert Filliou. Est-ce une référence qui vous parle ?

F.B. : Oui, dans le sens où pour moi tout se vaut. Le flou n’est pas plus valable que le net et le beau n’a pas plus de qualité que le laid. Ce sont des outils qui sont porteurs chacun d’un potentiel narratif spécifique et c’est cela qui m’intéresse. Je n’ai pas envie de m’installer dans une pratique. Je souhaite naviguer parce que le plaisir que j’ai à peindre provient en grande partie de l’étonnement que me procurent mes tableaux. Pour être étonné, il ne faut pas connaître le résultat à l’avance. J’ai quelques outils dans ma manche mais, selon la façon dont je vais les employer, ils donneront lieu à des tableaux très différents.

 

Flyer de l’exposition « Pochette Surprise ».

 

Certaines œuvres de Fabien Boitard seront visibles à partir de samedi dans l’exposition « Pochette Surprise ». Curatée par Marc Molk, celle-ci se tiendra à la galerie Sabine Bayasli jusqu’au 1er mars.