Le Centre Pompidou présente l’exposition « Particules de nuit » consacrée au travail envoûtant du cinéaste-plasticien Apichatpong Weerasethakul.
Cinéaste contemporain majeur, Apichatpong Weerasethakul, né en 1970 à Bangkok, est reconnu pour son univers méditatif et onirique où les frontières entre rêve, mémoires et futur, peuplés de chimères et de fantômes, se confondent. Ses films, parmi lesquels Uncle Boonmee, Who Can Recall His Past Lives (2010) et Memoria (2021) couronnés respectivement par une Palme d’Or et un Prix du Jury au Festival de Cannes, l’ont consacré comme l’un des grands stylistes du cinéma indépendant thaïlandais.
Apichatpong Weerasethakul est aussi plasticien. Son travail, exposé au Musée d’Art Moderne de Paris en 2010 et récemment à l’IAC de Lyon en 2021, est un laboratoire de films expérimentaux. Il y tisse des récits non linéaires et fragmentés, imprégnés de références à la culture populaire, au cinéma et aux contes traditionnels, à partir desquels il façonne des réalités abstraites, souvent hypnotiques.
Pour sa rétrospective au Centre Pompidou, l’artiste investit l’Atelier Brancusi, habituellement baigné de lumière naturelle, qu’il transforme en un lieu de pénombre propice au rêve et à l’hypnagogie – cet état entre veille et sommeil. Dans cette obscurité, comme une entrée dans la nuit, Apichatpong Weerasethakul sculpte la lumière et réinvente l’espace, en jouant sur la circulation et les réverbérations des images projetées, créant une interaction avec les corps des visiteurs dont les ombres se mêlent aux œuvres.
Pensée comme une œuvre à part entière, l’exposition Particules de nuit se déploie tel un labyrinthe sensoriel dans lequel une vingtaine de dispositifs cinématographiques invitent à explorer différents états de conscience, entre souvenir et rêve. Le parcours du visiteur est une incursion lente dans des paysages mentaux où la frontière entre le réel et l’imaginaire se fait poreuse.
L’exposition commence par Haiku (2009), une projection sur grand écran d’une image saturée de rouge vif qui envahit l’espace et diffuse une impression de surnaturel. De jeunes hommes de la ville de Nabua dorment et rêvent dans la « zone rouge », région de Thaïlande théâtre de violences politiques dans les années 1980. L’œuvre est extraite du projet Primitive (2009) conçu comme une boîte de mémoires – culturelles, personnelles ou refoulées – d’un groupe d’adolescents qui envisagent, notamment, de construire un vaisseau spatial pour fabriquer de nouveaux souvenirs.
Un peu plus loin, January Stories (2024) est une installation située dans le renfoncement d’une fenêtre teintée. Elle encadre un film réalisé avec une caméra à basse résolution, composant un portrait presque abstrait de Tilda Swinton, l’actrice principale du film Memoria (2021), à peine en mouvement. Elle se trouve, elle-même, dans une salle sombre, près d’une fenêtre à travers laquelle filtre la lumière du jour. On pense ici au peintre Johannes Vermeer.
Apichatpong Weerasethakul se réfère aussi au Surréalisme et au cinéma de genre. Fiction (2018) est un carnet de rêves. À l’écran, une main retranscrit ces mots : « I dreamt about a mixture of horror film and meditation. I was followed by an alien… » tandis que des insectes attirés par la lumière se posent sur les pages et accompagnent l’écriture. Ce rêve dans un rêve rappelle la séquence de la main recouverte de fourmis du film un Chien Andalou (1929) de Luis Buñuel et Salvador Dalí.
La pièce la plus spectaculaire du parcours est Solarium (2023). Réalisée pour la biennale de Thaïlande, l’installation est composée d’un grand panneau de verre en hommage au Grand Verre de Marcel Duchamp. Elle projette des yeux en lévitation. Une multitude de globes oculaires, tels des hologrammes, flottent dans l’espace. L’image se diffracte à travers la pièce créant un espace où l’image et le corps du regardeur se confondent. Solarium s’inspire du film The Hollow-Eyed Ghost (1981) du réalisateur thaï Komarachun, dans lequel un fantôme recherche ses yeux dérobés, ainsi que de la séquence onirique recouverte d’yeux, conçue par Salvador Dalí dans le film La Maison du Docteur Edwardes (1945) d’Alfred Hitchcock.
Une dernière référence au regard clôt l’exposition avec l’œuvre Seeing Circles (2020), composée de deux écrans circulaires synchronisés, tels des pupilles en suspension, qui symbolisent pour l’artiste « les planètes de l’interrogation perpétuelle ».
« Particules de nuit » est à découvrir jusqu’au 6 janvier 2025, au Pavillon Brancusi du Centre Pompidou.