En cette fin de semaine, le jeudi 5 décembre, débutera à la galerie etc. une exposition réunissant des œuvres d’Eve Gramatzki (1935-2003) et de Vincent Dulom (né en 1965). Elle est à découvrir jusqu’au 18 janvier 2025.
Les œuvres relevant d’une esthétique liquide sont nombreuses dans la création contemporaine. Leurs formes fluides permettent à certains artistes d’accompagner le mouvement de résistance de nos sociétés libérales face aux normes traditionnelles. Pour d’autres au contraire, la mise en scène de ces formes coulantes est le moyen de souligner la dérive consumérisme de nos sociétés capitalistes.
Que ce soit pour soutenir l’évolution des mœurs ou pour déplorer un monde jetable, ces formes, qui donnent à voir leur perpétuelle transformation, témoignent en tout cas d’une réalité : une accélération du temps qui rend anachronique la représentation d’un monde figé. À cette difficulté, car c’en est une pour un artiste, et plus encore pour un artiste de l’image fixe, s’ajoute le fait que ce monde est maintenant noyé sous les représentations de lui-même, diffusées, transformées et emportées par le flux numérique.
Mais, peu importe les raisons qui donnent à notre environnement une apparence changeante, il existe d’autres moyens plastiques d’en faire image. Pour rendre compte de cette absence de solidité, certains artistes recourent ainsi à des formes dans lesquelles les éléments réprésentés sont désagrégés en particules très fines. Cette esthétique de la pulvérisation, pourrait-on dire, est au cœur de quelques œuvres de Gramatzki et de presque toutes celles de Dulom. Elle justifie leur mise en regard en dépit des trente années qui séparent leurs générations.
En effet, c’est un monde de poudre que mettent en scène les tableaux à l’acrylique réalisés par Gramatzki à la fin des années soixante-dix comme les impressions sur toile effectuées cette année par Dulom. Chez elle, on découvre une table composée de points gris de différentes intensités, une entité désagrégée qui, en raison de sa réalisation en ton sur ton, peine à émerger du support, accentuant l’effet de brouillard. Ces deux éléments sont également présents dans les impressions de Dulom où la forme circulaire s’éparpille en halo au contour indistinct en raison des différences de densité des micro-éléments qui la composent.
Mais, si la représentation de leurs formes (réelles ou géométriques) est le résultat d’une dispersion, les compositions, chez l’un comme chez l’autre, reconduisent un semblant d’unité. Chez Gramatzki, c’est le meuble qui, situé exactement au milieu entre le bord gauche et le bord droit de la toile, construit une surface de deux bandes équilibrées. Chez Dulom, c’est le travail de la couleur qui, en donnant à la composition un centre à valeur d’origine, restaure un principe de cohésion. Chez ces deux artistes, les éléments représentés sont le fruit d’une désagrégation mais cet état « éparpillé » est stable.
Les compositions témoignent d’une suspension du temps qui n’est pas celle du flux car il s’agit moins de représenter un objet ou une forme que de faire voir une atmosphère. C’est ce que montrent aussi les autres tableaux de Gramatzki choisis pour l’exposition, ceux à l’apparence de paysages incertains réalisés au début des années quatre-vingt comme le très beau triptyque abstrait dont le grand format horizontal englobe le spectateur d’une brume qui semble immuable.
Et c’est sans doute ce caractère constant qui différencie les apparences pulvérulentes de Gramatzki et Dulom d’autres représentations plus liquides. Leurs mondes insaisissables s’annoncent comme durables car il est le monde. Il était celui de Gramatzki fuyant avec ses parents sa ville natale bombardée par les Alliés en 1944 avant d’être prise par les troupes soviétiques en 1945. Il sera celui de Dulom dans une époque qui voit deux blocs s’affronter à nouveau. Et il est, dans des temps plus cléments, celui de tout artiste tentant de fixer sur une surface plane et figée les mouvements insensés de l’existence.