Dans le cadre des Jeux Olympiques 2024 et de la politique culturelle qui y est associée, Art Critique accueille un premier dossier thématique constitué par des chercheurs. Intitulé « Art et/ou sport? », ce dossier coordonné par Christophe Genin (Professeur en Philosophie de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Marie-Françoise Lacassagne (Professeure émérite en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives à l’Université de Bourgogne), Adrien Abline (Docteur en Sciences de l’art et Directeur technique national de la Fédération Française d’Art) et Orianne Castel (Docteur en Philosophie de l’art et Rédactrice en chef d’Art Critique) a pour but d’interroger les relations entre les arts et les sports. Matthieu Llorca (maître de conférences en économie) et Florian Koch (maître de conférences en sciences du sport) présentent aujourd’hui les différentes mascottes olympiques et paralympiques.
En tant qu’évènement sportif le plus médiatisé et suivi au monde, les Jeux Olympiques sont l’occasion pour le pays organisateur de valoriser son identité culturelle et de partager de nouvelles représentations artistiques avec le reste du monde, comme l´expriment bien l’emblème olympique, les affiches, les mascottes, les programmes culturels, ainsi que les danses, les musiques et les costumes de la cérémonie d’ouverture (Llorca, Koch et Gautier, 2024).
Tout spécialement, la mascotte olympique représente à la fois l’expression artistique et les valeurs des Jeux Olympiques. Elle démontre la vision culturelle de la ville hôte des Jeux, l’engagement des communautés locales, le symbolisme, reflétant ainsi les questions artistiques prenant vie autour des Jeux Olympiques.
La mascotte a retenu notre attention dans la mesure où c’est une invention française qui apparaît lors des Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble 1968, avec le personnage Shuss (volontairement écrit de cette manière, au lieu de Schuss pour le terme courant). Ce nom (à la sonorité plutôt irritante et exceptionnelle car peu utilisé en français), venant du mot allemand « Schuss » qui signifie « coup de feu » en français, fait référence à une piste de ski, ou plutôt à une descente directe et ultra rapide à l’image d’un tir.
Cette première mascotte, conçue par Aline Lafargue, représente un skieur à grande tête, dans la position de l’œuf, de couleur tricolore, sans bras, et avec une jambe en forme d’éclair attaché à des skis.
Depuis, chaque édition des Jeux, d’hiver comme d’été, conçoit sa propre (ou ses) propre(s) mascotte(s). En effet, il n’est pas rare d’en voir plusieurs à l’honneur lors de certaines éditions : les Jeux d’hiver de Calgary 1988 ont, par exemple, promu le premier binôme de mascottes (les deux ours polaires Hidy et Howdy). Trois ont ensuite été créées pour les Jeux d’été de Sydney 2000 ou d’hiver de Sotchi 2014, quatre pour les Jeux d’hiver de Nagano 1998, et même cinq pour les jeux d’été de Pékin 2008.
La comparaison des différentes mascottes qui se sont succédé au fil des Jeux Olympiques d’été et d’hiver est particulièrement intéressante, car elle met en exergue deux perspectives, en termes de formes des mascottes, mais aussi d’interprétations et de significations.
Formes des mascottes olympiques
Tout d’abord, les mascottes des Jeux Olympiques se déclinent sous diverses formes, principalement inspirées de la faune, mais également de personnages, qu’ils soient imaginaires ou humanisés. Les animaux, souvent symboliques de la région d’accueil, sont prépondérants. Par exemple, le chien a représenté Munich en 1972 et Barcelone en 1992, tandis que le jaguar a été choisi pour Mexico en 1968. Parmi les autres mascottes animales, on trouve le castor pour Montréal en 1976, le raton laveur pour Lake Placid en 1980, l’ours pour Moscou en 1980, Calgary en 1988 et Sotchi en 2014, le tigre (Séoul 1988 et Pyeonchang 1988), le panda (Pékin 2008 et 2022), ainsi que le loup pour Sarajevo en 1984. Les oiseaux sont également présents, avec l’aigle pour Los Angeles en 1984 et des hiboux pour Nagano en 1998. Certaines de ces mascottes incarnent des emblèmes sportifs, nationaux (comme le teckel allemand, emblème sportif et symbolique) ou artistiques (le chien à forme cubique pour Barcelone 1992), et sont choisies pour leurs attributs (force, endurance, rapidité) souvent associés aux valeurs sportives. Enfin, certaines mascottes sont des objets humanisés, comme les Phryges de Paris 2024, représentant des bonnets phrygiens.
Interprétation et signification des mascottes olympiques
Au-delà de leurs formes, les mascottes olympiques sont également porteuses de références culturelles, historiques ou idéologiques. Certaines incarnent des récits ou des légendes locales. Par exemple, la mascotte Magique des Jeux d’Albertville en 1992, en forme de lutin étoilé, est la première mascotte à ne pas être un animal depuis les Jeux d’Innsbruck 1976 et fait référence au folklore alpin. D’autres mascottes symbolisent l’histoire du pays d’accueil : Haakon et Kristin, personnages historiques de Norvège du XIIIe siècle (le roi Haakon IV Haakonsson et la princesse Kristin), ont représenté Lillehammer en 1994 ; les mascottes athéniennes de 2004, Phevos et Athena, évoquent les dieux de l’Olympe (respectivement Apollon et la déesse de la sagesse Athéna) ; les Phryges olympiques et paralympiques des Jeux de Paris 2024 incarnent des idéaux sociétaux. Ces dernières mascottes, communes pour les deux évènements, ce qui constitue une première, ont été conçues par les designers de l’agence W, Gilles Deléris, Joaquim Roncin (père du slogan « je suis Charlie ») et le dessinateur Jules Dubost. Elles ne représentent pas des animaux, mais un idéal. En tant que bonnet phrygien, symbole de la Révolution française, elles ne se réfèrent pas à un récit spécifique, mais symbolisent les idées développées au cours de l’histoire et la culture de la France, représentant la liberté, l’égalité, la fraternité, et les idéaux de la République, tout en promouvant les valeurs olympiques d’inclusion, de diversité et d’unité.
Les mascottes olympiques occupent une place unique dans l’histoire des Jeux, à la croisée de l’art, de la culture et de la promotion internationale. Créées à chaque nouvelle édition, elles ne se limitent pas à des rôles décoratifs ; elles incarnent des valeurs, portent des symboles et représentent l’âme du pays hôte, tout en s’inscrivant dans un patrimoine visuel mondial. D’une part, ces mascottes sont des œuvres d’art populaires, conçues par des artistes de renom qui leur confèrent une esthétique spécifique. D’autre part, elles deviennent de véritables ambassadrices culturelles, reflétant l’identité nationale du pays organisateur et renforçant son rayonnement à l’international. Enfin, au-delà de leur originalité esthétique, elles répondent à des enjeux promotionnels. S’inscrivant dans une stratégie commerciale, leur design ludique et joyeux répond à une volonté d’en faire des icônes attachantes et inoubliables.
Créées à chaque nouvelle édition, les mascottes olympiques ne se limitent pas à des rôles décoratifs. Elles occupent une place unique dans l’histoire des Jeux, à la croisée de l’art, de la culture et de la promotion internationale. Tout d’abord, elles incarnent des valeurs, portent des symboles et représentent l’âme du pays hôte, tout en s’inscrivant dans un patrimoine visuel mondial. Ensuite, ces mascottes sont des œuvres d’art populaires, conçues par des artistes de renom qui leur confèrent une esthétique spécifique. Par ailleurs, elles deviennent de véritables ambassadrices culturelles, reflétant l’identité nationale du pays organisateur et renforçant son rayonnement à l’international. Enfin, au-delà de leur originalité esthétique, elles répondent à des enjeux promotionnels. S’inscrivant dans une stratégie commerciale, leur design ludique et joyeux répond à une volonté d’en faire des icônes attachantes et inoubliables.
Les mascottes olympiques : des œuvres d’art populaires
Les mascottes des Jeux Olympiques sont bien plus que de simples personnages symboliques. Elles constituent des œuvres d’art populaires, conçues dans un processus créatif complexe, intégrant design graphique, illustration et animation.
Les mascottes étant destinées à une large audience, les artistes sélectionnés sont rarement des artistes contemporains dont les œuvres sont uniquement visibles dans les musées ou galeries. Les créateurs choisis par le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (COJO) sont des créateurs dont les œuvres, relevant de l’animation ou du graphisme, sont connues du grand public. Ainsi, Aline Lafargue (créatrice de Shuss pour les Jeux de Grenoble en 1968) était auteure de films animés pour enfants diffusés par l’ORTF. De même Viktor Tchijikov (créateur de Misha, l’ours des Jeux de Moscou en 1980) était connu comme illustrateur de livres à destination de la jeunesse. Javier Mariscal (concepteur de Cobi pour les Jeux de Barcelone en 1992, qui a également élaboré des personnages pour la cérémonie d’ouverture, s’inspirant de la culture et de la peinture catalanes [Robinson, 1990]) est un auteur de bandes dessinées. On peut d’ailleurs noter que des studios sont souvent sollicités pour imaginer les mascottes. Ce fut par exemple le cas de Walt Disney Productions pour la mascotte des Jeux de Los Angeles 1984. Ainsi, les mascottes sont l’œuvre de créateurs possédant une expertise et une expérience reconnues dans la création de personnages visuels, capables de capter l’attention du public, de susciter l’engouement populaire et de devenir des produits commercialisables. En réinventant les mascottes pour chaque édition, ces artistes de la pop culture participent à la constitution d’un patrimoine visuel emblématique et durable des Jeux Olympiques.
Les mascottes olympiques, ambassadrices culturelles et identitaires du pays hôte
Comme nous l’avons déjà dit plus haut, au-delà de leur dimension artistique, les mascottes olympiques sont porteuses de l’identité nationale du pays organisateur. Elles deviennent des ambassadeurs culturels, symbolisant non seulement les valeurs des Jeux, mais aussi l’âme et l’histoire du pays hôte, en véhiculant des traits culturels reconnaissables et attachants. Conçues avec une esthétique unique, elles reflètent l’essence d’une époque.
Dans le but d’établir des liens émotionnels avec le public et de devenir des souvenirs iconiques, tout en renforçant le prestige et la visibilité internationale du pays qui accueille les Jeux, la dénomination des mascottes est très importante. Souvent choisie par le public, l’appellation est associée à des références linguistiques locales du territoire hôte des Jeux, de façon à renforcer l’attachement à la culture nationale ou régionale. Ces noms sont généralement courts, distincts et percutants, en raison de l’utilisation fréquente de diminutifs, également percutants sur le plan linguistique, du moins pour les autochtones. Ils répondent ainsi de manière optimale aux exigences des noms de produits commercialisables.
De plus, les mascottes sont parfois mises en scène dans des contextes emblématiques. Ainsi, la mascotte des Jeux d’hiver d’Innsbruck 1976, Schneemandl , qui est la première mascotte « vivante », est un bonhomme de neige avec son chapeau tyrolien, utilisé pour promouvoir ces Jeux et renforcer leur dimension locale. Avec ce personnage en grandeur nature, l’organisation a pu établir un lien affectif direct avec le public.
Des mascottes olympiques au design unique, ambassadrices promotionnelles des Jeux
Afin de répondre à leur objectif de promotion, les mascottes olympiques possèdent des caractéristiques communes. Tout en ayant chacune leur spécificité, elles partagent une allure joyeuse et ludique, invitant le public à célébrer les valeurs des Jeux. En tant qu’ambassadrices des Jeux, elles participent aux cérémonies d’ouverture et de clôture, et sont présentes durant les épreuves pour donner de la joie aux spectateurs et aux participants.
Au-delà de leurs particularités nationales, selon le Comité International Olympique (CIO), les mascottes incarnent l’esprit des Jeux Olympiques en portant les cinq anneaux olympiques sur une partie de leur corps ou de leurs accessoires, symbole qui rappelle leur rôle central dans l’évènement. La dimension emblématique des mascottes se perçoit également à travers la production d’une multitude de produits dérivés : peluches, vêtements, bandes dessinées, dessins animés, et même pièces de monnaie, comme pour les Jeux de Sotchi en 2014, et ceux de Paris en 2024, avec une collection spéciale éditée par la Monnaie de Paris.
Enfin, ces mascottes olympiques contribuent, par leur image positive, accueillante et moderne, à une stratégie de soft power pour le pays hôte. En valorisant l’identité culturelle du pays, elles renforcent son rayonnement et participent activement à sa promotion sur la scène internationale.
Bibliographie
Llorca, M., Koch, F. et Gautier, L. (2024), Les 100 mots des Jeux Olympiques en 24 thématiques, Éditions Universitaires de Dijon.
Robinson, A. (1990), « Mariscal-Cobi – Un bouffon à Barcelone », Revue Olympique,
septembre-octobre 1990, n° 275-276, pp. 442-445.