Dans une dizaine de jours débutera à la galerie Maria Lund une exposition personnelle de la photographe suédoise Helene Schmitz. Intitulée Studies in Falling, du nom de la série qui y sera présentée, elle se composera d’une dizaine de photographies réalisées dans le parc naturel de Jasmund situé sur l’île de Rügen en mer Baltique.
Semblant exposer différents gestes propres à l’univers pictural comme la coulure, la tache ou le brossé, les photographies de falaises de Schmitz proviennent de cet univers. C’est en effet après s’être intéressée à l’huile sur toile Falaises de craie sur l’île de Rügen de Caspar David Friedrich que la photographe, également diplômée d’histoire de l’art, a décidé d’en donner une vision contemporaine. Actuelles, ses images le sont par le cadrage. Là où le maître du romantisme allemand situait le spectateur en surplomb des falaises pour mieux lui rappeler sa petite place face à l’immensité de la nature, Schmitz, qui a pris ses images depuis un bateau, propose des vues frontales qui insistent sur la fragilité de l’environnement. En effet, si dans l’œuvre de Friedrich les humains, à l’instar du chapeau tombé de la tête du personnage central, risquent de dégringoler dans le précipice, c’est la falaise qui révèle son caractère vulnérable dans les œuvres de Schmitz. Ses vues de face, prises de plus ou moins loin, offrent une perspective documentaire du lieu, et de son érosion. La chute concerne le paysage et c’est sans doute en cela que les images de Schmitz sont si contemporaines.
On a souvent parlé de sublime à propos de l’œuvre de Friedrich lequel s’était fait connaître de façon polémique après avoir réalisé un paysage présentant un calvaire vu de loin pour l’autel d’une chapelle (Le Retable de Tetschen). Si ses contemporains n’étaient pas prêts à remplacer les scènes religieuses par des montagnes et des arbres, ses morceaux de nature étaient pourtant tous empreints de sacré, porteurs d’une puissance dépassant de loin celle des humains. Ce caractère sublime était porté par le traitement non académique que Friedrich faisait du paysage. Privilégiant la représentation de phénomènes climatiques particuliers comme une neige éblouissante ou un brouillard voilant la vision, il substituait à la construction en différents plans une composition troublée. Cette incapacité à se repérer est sans nul doute ce qui en a fait le maître du sublime au sens que lui donnait Edmund Burke. « Lorsque nous connaissons toute l’étendue d’un danger, lorsque nous pouvons y habituer les yeux, une grande part d’appréhension s’évanouit » écrivait en effet le philosophe, insistant sur le fait que le sublime comporte toujours une part de terreur.
À l’inverse, il n’y a rien d’obscur dans l’œuvre de Schmitz. Le spectateur voit les strates des blocs de falaises qui auparavant existaient, les traînées de boue formées par ceux tombés récemment et, face aux racines mises à nu, il peut même anticiper quels seront les prochains arbres à tomber. Claire, la vision est néanmoins terrible, peut-être parce que ce qui est montré ne renvoie pas à des idées abstraites mais à l’objet qui nous fait face, que la chute n’est pas ici une métaphore mais une réalité qu’on ne parvient pas à empêcher. La nature, péril pour l’Homme et en cela sublime chez le peintre Friedrich, est ici au départ d’un sentiment étrange, une sorte de nostalgie pour quelque chose qui néanmoins, le médium photographique en témoigne, n’a pas encore disparu.