Kenjiro Okazaki à la galerie frank elbaz

Kenjiro Okazaki à la galerie frank elbaz
Kenjiro Okazaki, My stomach is growling. We're lucky. They say you always realize the terrible things after they've passed, like puddles after a typhoon. […], 2024. Photo : Shu Nakagawa. Courtesy de l’artiste et de la galerie frank elbaz.
À voir

Lundi prochain, l’espace frank elbaz accueillera une nouvelle exposition de Kenjiro Okazaki. Intitulé « Mettere a nudo / Aeon Muttered  », ce deuxième solo show que la galerie consacre à l’artiste et critique japonais permettra de découvrir de grands (jusqu’à 224 x 363,5 cm) et de petits formats (20,5 x 16,5 cm pour le plus petit) réalisés cette année.

Si on s’en tient aux tableaux de format moyen, comme ceux de 182 x 144 cm composés de deux panneaux, le spectateur pourrait imaginer regarder un des tableaux de Bernard Piffaretti dont nous parlions récemment. Devant les taches, textures et couleurs se répétant d’une surface à l’autre, il pourrait penser faire face à des diptyques lui parlant uniquement de peinture.

Les titres accompagnant ces œuvres, comme d’autres montrées dans l’exposition, interdisent cependant toute lecture matérialiste du travail. Légende littéraire rédigée par l’artiste, l’une d’elle raconte, par exemple, l’histoire d’un vieux poisson, un poisson présent depuis si longtemps dans l’étang que son ombre est devenue imperceptible aux plus petits. Ainsi, en complément ou en contrepoint d’une composition faite de taches colorées plus ou moins translucides, Okazaki rapporte les rêves d’un poisson ancestral espérant découvrir l’univers terrestre.

Même s’il est impossible au spectateur de savoir si c’est l’histoire qui a inspiré le tableau ou l’inverse, cette association témoigne de l’univers d’Okazaki. Composé de poèmes à valeur de contes dont l’artiste ne livre pas toujours la morale, il n’y est aucunement question de définition de la peinture par la peinture. Et si l’on parle d’héritage souterrain, les formes modernes de ses tableaux n’ont rien à voir avec le mouvement né à la fin des années 1800 en Europe. Elles puisent au contraire dans une tradition nippone séculaire, celle qui justement inspira nos Modernes lors des premières expositions universelles.

Mais, si les tableaux composés de quatre panneaux convoquent la précision d’un sol en tatamis quand celui formé de deux panneaux disposés en T évoque la simplicité d’un kimono déplié, l’œuvre d’Okazaki est aussi nourrie de techniques contemporaines. Ainsi, ce grand connaisseur de l’histoire de l’art de la Renaissance jusqu’à nos jours privilégie l’acrylique à l’huile. Plus encore, il la mélange à des gels et à des pigments de pastel de façon à créer des textures et couleurs qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique en berlingot d’un Bernard Frize.

D’ailleurs, là où les formats en plusieurs panneaux présentent des surfaces aérées ponctuées de touches de couleurs souvent diaphanes, les toiles des formats intimes de sa nouvelle série sont, comme chez le peintre français, entièrement recouvertes de teintes crémeuses. Il n’y a plus ici de surface de toile vierge, bien au contraire, la matière déborde les limites du support pour contaminer la tranche. Sur les formats resserrés de la série « Zero », l’esthétique candy se fait plus lourde et la sensualité devient très tactile comme en témoigne encore le titre d’un des tableaux « The Fingers Given to Touch With ».

L’exposition sera visible jusqu’au 16 novembre. Elle s’accompagne d’un livret présentant des reproductions des œuvres exposées. Cette édition limitée est enrichie d’un texte critique de Ryo Sawayama et d’un poème de Kyongmi Park.