Du 13 septembre au 26 octobre, la galerie Catherine Putman présente l’exposition « Ito no ito », un solo show de l’artiste Keita Mori.
S’inscrivant dans le registre du dessin, le Japonais installé en France a développé un univers visuel fait de moteurs, rouages et pistons agencés en des mécanismes dont les usages ne nous sont jamais révélés. L’artiste effectue ses compositions à partir de fils qu’il tend avant de les fixer à l’aide d’un pistolet à colle sur des surfaces. Ces dernières peuvent être des papiers (la galerie en présentera de différents formats) ou des murs (elle accueillera également une très grande installation éphémère).
À la question « Pourquoi le fil ? », Mori répond que, lorsqu’il étudiait aux Beaux-Arts Tama à Tokyo, l’artiste Nobuo Sekine les avait enjoints, lui et ses camarades, à ne travailler qu’un unique matériau, seule façon selon le fondateur du mouvement Mono-ha de développer le geste le plus juste.
Effectués sans esquisses préparatoires, les dessins filaires de Mori, maintenant âgé d’une quarantaine d’années, semblent par leur rigueur donner raison à son professeur, mais on comprend aussi que ce médium était sans doute le plus adapté pour traiter du sujet qui préoccupe l’artiste depuis plus de douze ans.
Mori, en effet, n’a pas choisi de s’exprimer à l’aide de traits car son travail ne se situe pas du côté de la subjectivité. Au tracé il a préféré la ligne, plus impersonnelle, liée au fil jusque dans son étymologie, le mot latin linea décrivant un fil de lin.
Mais, si Mori a privilégié l’univers géométrique de la ligne à l’expressivité du trait, c’est aussi parce que ses mécanismes, traités sans volume, évoquent bien plus des plans de machines que des machines réalisées. Ils relèvent du dessin dans sa double acception de représentation graphique mais aussi de projet comme l’artiste a souvent eu l’occasion de le répéter. Or le fil, là encore, n’est pas sans lien avec ce registre du dessein. Fil à plomb ou cordeau à tracer, il constitue la base de nombre d’outils primitifs de construction.
Cependant, si les dessins filaires de Mori montrent des mécanismes à l’état de projet, le spectateur, en s’approchant, constatera qu’ils sont partis pour échouer. Ici et là, en effet, un accroc, un trou signalent l’impossibilité pour la machine d’effectuer sa fonction mystérieuse. Et une nouvelle fois, on est obligé de penser que le fil était le matériau le plus adéquat pour matérialiser cette incapacité. Que ce soit le fil de l’eau désignant le courant du fleuve ou le fil électrique transportant l’électricité, le fil est associé dans notre imaginaire à l’idée d’une circulation. Il ne tient qu’à un fil qu’elle s’interrompe, que les parties ne soient plus toutes alimentées.
Que symbolisent ces mécanismes qui sans être encore construits sont déjà caducs ? L’artiste ne nous le révèle pas. Quelques indices seulement ; d’après leur apparence, ils semblent humains. Nous pourrions même dire masculins tant l’univers des machines, agricoles ou industrielles, apparaît aujourd’hui encore du ressort des hommes. Il y a d’ailleurs quelque chose d’étonnant à voir cet univers traité par le biais d’un médium traditionnellement associé au travail des femmes, tisseuses ou brodeuses, et, plus encore, de le voir traité à l’aide de ces savoir-faire manuels justement remplacés par des machines lors de la révolution industrielle.
Cependant, les mécanismes de Mori ne représentant ni métier à tisser ni machine à tricoter mécanisée ni d’ailleurs aucun autre appareil reconnaissable, il est probable qu’ils symbolisent des systèmes d’une tout autre nature. Lesquels ? On ne le sait pas, l’artiste nous laisse libres d’imaginer ce que sont ces systèmes. Seule certitude, leur non-fonctionnement ne provoque aucun drame. Effectuées dans un bleu calme, les compositions en fils de laine, soie ou coton bénéficient de la « soft logic » que Sheila Hicks prête au textile, elles sont apaisantes. Lorsque les systèmes seront hors service, l’avenir sera peut-être meilleur, semble nous dire Mori.