Expanded Horizons chez Thaddaeus Ropac / Pantin

Expanded Horizons chez Thaddaeus Ropac / Pantin
Joan Snyder. Vanishing Theatre/The Cut, 1974. Huile, acrylique, papier mâché, fil, fausse fourrure, papier, grillage sur toile, 152,4 x 304,8 cm. © Joan Snyder.
À voir

Du 21 septembre au 25 janvier, l’espace Thaddaeus Ropac de Pantin présente l’exposition « Expanded Horizons : L’art américain des années 70 ».

Il fallait bien la plus grande des deux galeries parisiennes de Thaddaeus Ropac pour accueillir cette exposition qui présentera les œuvres d’une vingtaine d’artistes ayant, pour la plupart, travaillé des grands, voire des très grands formats.

C’est que, comme l’indique son titre, l’exposition se concentre sur la scène artistique des années soixante-dix, moment où, en raison d’une actualité politique et sociale mouvementée, beaucoup d’artistes ont déserté la capitale pour installer leurs ateliers dans les nombreux grands espaces du territoire américain.

On ne dit jamais assez à quel point les conditions matérielles comptent dans la création d’une œuvre. Celles choisies pour cette exposition le prouvent : à cette installation dans des lieux à ciel ouvert correspond un élargissement des manières de faire.

Déjà évoquées car immédiatement visibles, les dimensions changent comme en témoigne de façon exemplaire l’œuvre Bank Job (Spread) exécutée par Robert Rauschenberg en 1979, un tableau de plus de 3 mètres par 9.

Mais plus globalement, avec la vie au grand air, c’est une réflexion sur l’espace de l’œuvre qui s’ouvre. Ainsi, travaillant des toiles plus modestes, Robert Ryman les recouvre entièrement de blanc de façon à porter notre attention sur le tableau comme surface limitée quand d’autres comme Sam Gilliam ou Joan Brown les libèrent de leur châssis ou les présentent autrement qu’accrochées au mur. Soit qu’elles s’accordent à celles du mur comme dans les dessins muraux de Sol LeWitt soit qu’elles s’inscrivent à l’échelle d’une pièce comme dans l’installation Horizon Home Sweet Home de James Rosenquist, les limites sont d’ailleurs déplacées en dehors du tableau par beaucoup d’artistes.

Ce déploiement des œuvres a pour conséquence une évolution des matériaux. La peinture ne suffit plus à couvrir ces immenses surfaces. La pièce créée par Rosenquist en 1970 est ainsi composée de 27 panneaux qui pour certains sont des toiles peintes pour d’autres des toiles tendues de film argenté mais surtout, elle se remplit par intermittence d’un brouillard qui participe pleinement de l’œuvre.

Il faut d’ailleurs noter que, si les années soixante-dix correspondent à un accroissement considérable des matériaux, au point qu’Andy Warhol utilise de l’urine pour produire sa série des Pisspaintings, les innovations sont souvent liées à la volonté des artistes de changer le rapport que le public entretient avec les œuvres et, pour beaucoup, de lui faire quitter son statut de spectateur. Le brouillard de Rosenquist est une illustration parfaite de ce désir d’englober le visiteur dans l’œuvre.

Cette volonté de l’inclure dans le domaine de l’art se double aussi d’une intention d’amener l’art dans la vie réelle en traitant des problématiques de l’époque comme le féminisme ou l’écologie naissante. Ainsi, Joan Snyder produit des peintures abstraites expressives témoignant de son expérience de femme tandis que Judy Chicago enveloppe le paysage d’une brume colorée qui ne le marquera pas durablement.

« Expanded Horizons » renvoie donc à un élargissement matériel et conceptuel des œuvres qui, et c’est aussi le propos qu’entend tenir cette exposition, a marqué la création artistique jusque sur notre continent et jusqu’à nos jours.

De fait, en voyant les toiles non tendues de Gilliam ou celle pendue au plafond de Brown, le visiteur ne pourra que se remémorer les expérimentations de Supports/Surfaces à peu près aux mêmes années en France. Et de même, en regardant les œuvres de Snyder et Chicago, il ne pourra qu’être frappé par la ressemblance entre leurs thèmes et ceux de la scène artistique actuelle, même s’il est aussi intéressant de voir que les réponses que les deux femmes apportent aux sujets sociétaux sont, plus qu’aujourd’hui nous semble-t-il, intrinsèquement liées à l’histoire de l’art. En effet, Snyder peint ses œuvres expressives en réaction aux productions impersonnelles des artistes masculins qui animent le mouvement Colorfield Painting et Chicago conçoit son brouillard comme une nappe de douceur envahissant l’espace des artistes hommes du Land Art.

Gigantisme, œuvres immersives ou éphémères, les apports des artistes américains des années soixante-dix à notre conception de l’art actuel sont nombreux mais un peu de temps a passé néanmoins. Il faut donc se rendre à Pantin afin de saisir la pertinence de cet héritage pour penser la création contemporaine.