Bernard Piffaretti chez frank elbaz

Bernard Piffaretti chez frank elbaz
Bernard Piffaretti, Sans titre, 2020 Acrylique sur toile, 140 x 240 cm.
À voir

Demain, mercredi 4 septembre, aura lieu l’inauguration de la nouvelle exposition que la galerie frank elbaz consacre au peintre processuel Bernard Piffaretti. Sixième présentation, déjà, d’une production amenée à se répéter sans cesse, elle s’intitule très justement « Pour finir encore ».

Mais le titre, donné en référence au livre du même nom de Samuel Beckett, renvoie surtout à la ligne divisant en deux parties égales la surface de tous les tableaux de Piffaretti. Pilier central du protocole de l’artiste, ce trait de couleur vertical est en effet celui qui achève la première partie de la création et qui marque le début de la seconde, sur le mode du recommencement.

Rappelons-le, Piffaretti travaille toujours de la même façon : il trace une barre verticale au centre de sa toile, peint une composition qui n’a donné lieu à aucune esquisse préalable sur l’une des parties puis la reproduit, de mémoire, sur l’autre. Lorsque la configuration peinte en premier est trop complexe pour être dupliquée, une partie de la toile reste vierge.

D’apparence abstraite, l’original et la copie se situent indifféremment à gauche ou à droite car cette ligne grossièrement peinte est le pivot central d’un système où l’idée d’acte créateur perd tout son sens. On ne peut même pas dire que c’est l’ensemble, la spontanéité et sa figuration, qui fait œuvre car il est impossible de parler de naturel à propos d’un geste qui, avant même son instauration, est conçu comme le modèle d’un autre à venir.

Le sujet de Piffaretti n’est pas l’authenticité de l’artiste mais la réalité de la peinture, et les siennes montrant simultanément le représenté et sa représentation, sont une sorte d’illustration parfaite de la démarche autoréflexive appliquée à l’art dont Clement Greenberg décelait les prémisses chez Édouard Manet. Les œuvres de Piffaretti, littéralement, montrent la peinture se peignant elle-même.

Devant ces tableaux dans le tableau, le spectateur de l’exposition se sentira d’ailleurs peut-être de trop, incapable en tout cas de tenir sa position centrale habituelle. Il se trouvera dans cette situation étrange, invention moderne attribuée à Manet, de devoir bouger sans cesse devant les toiles pour éviter de faire face à ce trait coupant la peinture en deux.

Se déplaçant d’un côté à l’autre, le spectateur pourra se prêter à ce jeu des sept différences proposé par l’auteur car, si une chose est sûre dans cette définition de la peinture par elle-même, c’est qu’elle se tient dans l’écart entre le représenté et la représentation. C’est d’ailleurs face à cette distance qu’on comprend, mieux encore qu’à l’aide d’un dictionnaire, l’application du même terme de « réflexion » à l’activité des surfaces comme à celle des hommes.

Comparant les deux surfaces d’un même tableau, le spectateur pourra aussi admirer le caractère virtuose des œuvres car, si le protocole est toujours le même, l’artiste le travaille depuis presque quarante ans. À force d’imiter l’instinctif et de mimer l’accident, il y a du métier chez Piffaretti et c’est toujours une source de satisfaction que de le constater.

Ce sera aussi le moment de voir où en est l’artiste au sein de cet « encore » car, parmi la foule de ses « sans titre », on croit parfois reconnaître une couleur d’Ellsworth Kelly, une touche de Martin Barré ou une composition à la Günther Förg. Pour peindre la peinture, Piffaretti repeint les siennes mais, comme tous les artistes il peint aussi « d’après » celles de ses devanciers. Peindre pour lui, décidément, est autant une affaire d’appropriation que d’invention.

L’exposition est à voir jusqu’au 10 octobre.