Les Rencontres d’Arles : Sophie Calle en souterrain

Les Rencontres d’Arles : Sophie Calle en souterrain
Couverture du livre "Sophie Calle, Finir en beauté", Actes Sud, 2024.
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C’est aux Cryptoportiques, une galerie souterraine antique où l’humidité est peu clémente pour les œuvres exposées, que Sophie Calle a pris ses quartiers aux Rencontres photographiques d’Arles 2024. Intitulée Finir en beauté, cette exposition s’inscrit dans une sorte de continuité accidentelle avec À toi de faire ma mignonne, présentée l’an passé au musée Picasso. Elle résonne en outre avec un certain esprit de résilience planant sur ces Rencontres.

Alors qu’un dégât des eaux affectant sa réserve venait notamment d’endommager sa série Les Aveugles, Sophie Calle repensa à cet incident survenu aux Rencontres d’Arles 2023, lorsque les photographies de Juliette Agnel, exposées aux Cryptoportiques, s’étaient vues attaquées par la moisissure. Pour ses tirages abîmés, qu’il était impossible d’intégrer à l’exposition du musée Picasso à l’automne dernier, Calle a suggéré d’investir à son tour les Cryptoportiques arlésiens. En y joignant quelques objets qu’elle ne pouvait « ni donner ni jeter », selon la formule de Roland Topor, l’artiste a donné naissance à ce Finir en beauté, projet dans lequel des œuvres abîmées et des objets du passé poursuivent leur lente dégradation sous les voûtes antiques.

Dans sa présentation, Sophie Calle note une certaine ironie du destin : « J’ai réalisé que la pourriture avait sélectionné ses victimes. À côté de ces regards qui ne voient pas, elle ne s’en était prise qu’à des projets qui évoquaient symboliquement la mort, comme s’ils avaient perdu leur immunité : des bouquets de fleurs séchées, des clichés de tombes, la photo de mon matelas sur lequel un homme s’est immolé, des tableaux qui déclinent le dernier mot de ma mère. » Toutefois, nous remarquons que sa série Les Aveugles trouve, au sein d’une cave obscure, un écrin idéal pour confronter nos a priori sur la cécité – les ténèbres que l’on tend à prêter aux personnes non-voyantes – à la réelle richesse de leur univers intérieur, qui ressort des témoignages recueillis par Sophie Calle.

 

Réappropriations, recyclages et interactions

Mise en abyme autant qu’en abîme, Finir en beauté interroge le caractère périssable de toute œuvre, en l’espèce par l’action des moisissures. Celles-ci s’avèrent si contagieuses qu’une note de la main de Sophie Calle, ajoutée au texte expographique, prévient malicieusement les éventuels voleurs du danger qui les guette s’ils viennent à exposer ces objets dans leur salon. C’est une artiste avertie qui interagit ainsi avec son public, Calle ayant autrefois fait les frais du vandalisme. Installées dans une galerie du Bronx en 1980, ses photographies y avaient été taguées par un visiteur nocturne. Elle avait alors décidé d’intégrer l’incident à cette œuvre, en incluant les tags au moment d’éditer son Bronx Portfolio. Cette histoire est évoquée dans une autre exposition des Rencontres d’Arles 2024, Au nom du nom, les surfaces sensibles du graffiti, sous le commissariat d’Hugo Vitrani à l’église Sainte-Anne, justement située à deux pas des Cryptoportiques.

Réappropriation et « ré-usage » sont en outre des notions contenues dans le titre Finir en beauté, qui fut celui d’une exposition sur la figuration libre organisée en 1981 par Bernard Lamarche-Vadel. Si le lien entre Calle et la figuration libre n’est pas si évident à première vue, rappelons que c’est le même Lamarche-Vadel qui, par le biais de son épouse, a repéré le potentiel artistique de Sophie Calle et a contribué à la faire connaître du monde de l’art à la fin des années soixante-dix. L’emprunt de ce titre à un galeriste, écrivain et artiste hanté par la mort, qui a d’ailleurs mis fin à ses jours, ne saurait être fortuit.

 

Sophie Calle au cœur et au détour des Rencontres

Comme si les graffeurs indélicats du Bronx s’étaient invités à la fête, l’installation Le Jardin d’Hannibal de Marine Lanier a reçu quelques inscriptions sauvages, dans les premiers jours des Rencontres 2024. À quelques rues de là, le visiteur pensera encore à Sophie Calle, son regard malicieux et son rapport à l’intime, en cherchant l’exposition de Debi Cornwall, Citoyens Modèles. Pour accéder au travail de la photographe et juriste américaine, une réflexion complexe sur la guerre, le réel et la mise en scène, il faut passer par une porte dérobée, au fond… du rayon sous-vêtements féminins du Monoprix.

Et comme un dernier hommage des éléments à l’artiste, la Nuit de l’année, un événement festif en plein air organisé le premier samedi de juillet, s’est vue annulée à cause d’une pluie torrentielle, à l’issue d’une semaine d’ouverture épargnée jusque-là. Certains festivaliers, dans une démarche superlativement off, offrirent à la fête un secret refuge dans une sorte d’abri de béton, sous l’autoroute, à l’initiative de jeunes photographes allemands et d’étudiants en art arlésiens. Des trombes d’eau, une tentative de sauvetage sous une crypte : comment mieux finir en beauté la semaine inaugurale ?

 

Sophie Calle, Finir en Beauté, aux Cryptoportiques dans le cadre des 55e Rencontres de la photographie d’Arles 2024, jusqu’au 29 septembre.