Pour cet été 2024, la ville de Dinard accueille presque jusqu’à l’automne au Palais des Arts et du Festival (du 9 juin au 1er septembre) et dans la Villa Les Roches Brunes (du 9 juin au 6 octobre) Elizabeth et Gérard Garouste.
Elizabeth Garouste, en collaboration avec Mattia Bonetti, est une figure du monde du design. Contemporain du groupe Memphis aux nouvelles formes stratifiées hautes en couleur ou de Starck au projet démocratique, le duo « Garouste-Bonetti » a créé le « style barbare » offrant des ambiances souvent théâtrales où la poésie rencontre le baroque. Travaillant en solo, après une rétrospective commune en 2001, Elizabeth s’autorise des moments d’expression purement plastiques. Elle expose dès 2012 des œuvres plus personnelles rappelant encore les arts premiers et l’art brut. Elle évolue ensuite vers des sujets plus symboliquement oniriques qu’elle présente aujourd’hui en révélant leur lien intime avec son mari.
Pour sa part, Gérard Garouste est un des grands peintres figuratifs français. Fasciné par la peinture classique mais très au fait de l’évolution de l’art de son temps marquée par exemple par Marcel Duchamp et son célèbre « tout est art », il a cherché sa propre voie. Peintre intellectuel, il trouve son inspiration dans les grands mythes religieux ou littéraires porteurs d’universalité. Garouste, par ses œuvres, clarifie souvent le sens général qu’il leur prête, mais s’attache aussi à comprendre celui d’unités plus petites comme les versets, les mots, les lettres. Il arrive ainsi à produire à l’intérieur de ses œuvres plastiques ce qu’il nomme « une métafiguration ».
Dans l’exposition L’art à La Source, ce couple de créateurs, sous la houlette des deux commissaires Laura Goedert et Stéphanie de Santis, Garouste fait dialoguer leurs œuvres, qu’elles relèvent du dessin, de la gravure, de la sculpture ou bien entendu de la peinture. Une centaine d’entre elles issues de collections publiques et privées témoigne ainsi d’une création où chacun d’eux, dans sa différence, souligne son avancée, étape par étape, « sans tiédeur ». Cet échange interpersonnel n’est pas détaché du monde mais prend place au contraire au milieu des œuvres des enfants de la Source et des artistes associés. En effet, les époux Garouste sont à l’origine d’une fondation innovante permettant la lutte contre l’exclusion quelle qu’en soit la nature par la transmission de l’art via des artistes assistés d’éducateurs.
Au palais des expositions, les œuvres se déploient sur deux niveaux.
Au premier, la visite campe les personnages. Elle commence par le portrait d’Elizabeth Garouste (2003), portrait affiche de l’exposition, suivi d’une échelle de Jacob transformée en chevelure rousse au pied de laquelle un coq serpent se démène non loin de la « croisée des sources » (1999). Le spectateur se familiarise ainsi avec l’univers très particulier de Garouste avant de déboucher sur un immense tableau « sans titre » (1991), ouverture magistrale vers la salle suivante. Foisonnante, celle-ci présente ce que peut être le travail d’une équipe artistique. D’un côté, un module aux oiseaux, œuvre des jeunes de la Source, fait face aux dessins d’Elizabeth ; de l’autre, une sorte d’oculus géant, l’anaphore Gargantua, répond à un autoportrait de Garouste tirant la langue, Sous l’œil du Golem (2011). Dans les deux cas, les œuvres sont guidées, par le couple pour la première, par Gérard Garouste et Daniel Maghen pour la seconde.
Rabelais trône aussi dans la grande salle où la Dive Bacbuc, immense installation circulaire, illustre l’originalité de Garouste.
Cette toile tendue de 2,85 m de haut et 7,50 m de diamètre est peinte des deux côtés. Réalisée pour la première fois en 1998, porteuse de la référence savante à « Trinch », elle incite le regardeur à « boire et rechercher la vérité ». Devenu Panurge, il peut se laisser guider par la peinture. Cependant, il n’accède à l’œuvre que par des oculi, lui donnant une vision fragmentée. Pour le regardeur institué en voyeur, ce sont ces manques qui doivent lui permettre de mener sa quête. Pour l’artiste, si tout est art, l’entre-deux l’est aussi, ce dont le dispositif témoigne dans les faits.
Autour de ce monument se trouvent d’autres œuvres de Gérard dont les Indiennes inspirées de Dante et Virgile, puis, précédé de têtes modernistes suspendues à des arbres, un ensemble de dessins d’Elizabeth. Figures étranges, au dessin maîtrisé, les unités composant les sujets semblent tenir entre elles par le fil d’associations automatiques. L’inconscient guide peut-être la pensée globale de l’artiste, mais le spectateur pressent que le graphisme réalisé dans chaque sous-partie est en lui-même porteur d’expression. Il peut ainsi trouver certains points d’ancrage, piste d’un récit là aussi à construire.
Dans la dernière salle de l’étage, un arrangement de meubles d’Elizabeth Garouste, tout en patiente majesté, est environné des œuvres de son mari. Rétrospective efficace, des toiles des années 1998 répondent à celles de 2023, moins figuratives, plus colorées, où les corps dans leurs mouvements torturés deviennent lettrines. Il s’y trouve aussi le « théâtre de Don Quichotte » (2012) et un bronze représentant le personnage auquel l’artiste dit s’identifier, tout comme de grands dessins à la mine de plomb.
Enfin, les productions des enfants de la Source et de leurs 13 accompagnateurs artistes sont regroupées sur tout le deuxième étage. Le spectateur est appelé à voir en même temps le travail réalisé par les jeunes et quelques productions personnelles de leurs accompagnateurs. Ainsi par exemple, les sculptures des animaux totémiques réalisées sous l’égide d’Aurélien Boiffier répondent à ses dessins animaliers. C’est aussi à ce dernier étage que deux vidéos sont projetées. Dans la première, Elizabeth et Gérard Garouste nous font part de leur aventure artistique, sur fond d’amour non négociable, tandis qu’une seconde vidéo présente l’association la Source fondée sur l’art en tant que ressource inaliénable à transmettre.
L’exposition se poursuit à la Villa Les Roches Brunes.