Bona, Berthe Morisot, le secret de la femme en noir

Bona, Berthe Morisot, le secret de la femme en noir
Couverture du livre "Berthe Morisot. Le secret de la femme en noir" de Dominique Bona publié par Le Livre de Poche.
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C’est une biographie que Dominique Bona a choisi d’écrire sur la grande figure féminine de l’impressionnisme. L’autrice, aujourd’hui académicienne, a déjà produit plusieurs romans primés et une biographie de Romain Gary lorsqu’elle se penche en 2000 sur la vie de Berthe Morisot. Très bien documentée, notamment grâce aux archives familiales, au musée Marmottan et à la bibliothèque de l’Institut de France, Bona propose un ouvrage récompensé par le prix Bernier de l’Académie des Beaux-Arts.

Berthe Morisot, le secret de la femme en noir ouvre deux voies d’accès au lecteur, le dévoilement d’un secret que le déroulé d’une vie hors du commun va peut-être aider à comprendre et les particularités de cette vie elle-même découlant du genre littéraire choisi.

Dès le premier chapitre, le lecteur comprend que l’énigme concerne la relation entre Berthe et un artiste décrié en son temps, Édouard Manet. Le premier chapitre commence en effet par les célèbres tableaux de la jeune femme peints par ce dernier. Deux d’entre eux, Berthe Morisot au bouquet de violettes et Le Bouquet de violettes sont particulièrement mis à l’honneur. Le bouquet sans personnage, un jour dédicacé à son modèle, se retrouvera dans un nouveau chapitre vers la fin du livre. À partir du moment où Berthe, jeune peintre chaperonnée par sa mère, rencontre Manet au Louvre jusqu’à sa mort, Manet accompagne sa vie. L’autrice fait parfois du père du modernisme un personnage central, d’autres fois elle préfère le mentionner croisant la vie de Berthe au détour d’un événement. Ainsi, Manet conseille à la famille Morisot de quitter Paris pendant la guerre, Manet encourage Berthe à vendre ses tableaux à un meilleur prix… Quoi qu’il en soit, cette omniprésence du peintre dans la vie de Berthe donne au lecteur l’envie de comprendre la nature de cette relation. Elle le tient en alerte, le pousse à guetter et accumuler les informations pertinentes pour renforcer l’hypothèse que l’écrivain le pousse parfois à poser.

Cependant, la vie de Berthe ne se résume pas à son lien à Manet. Berthe Morisot est une peintre reconnue, et pas seulement par Manet. Même aujourd’hui, sa réputation ne faiblit pas. Elle est mise à l’honneur à Nice  jusqu’en décembre, à Gênes à partir d’octobre . Or, parvenir à une telle renommée, en étant née en France au début du XIX° est un véritable challenge. À cette époque, les femmes artistes sont rares, celles qui atteignent cette notoriété encore plus rares. Il reste donc à comprendre ce qui l’a poussée à devenir peintre et à rester dans cette voie en visant la perfection.

Bona convoque la généalogie et souligne son rôle dans l’ouverture de possibles. Dans la lointaine parentèle de Berthe, il y a Fragonard dont elle serait une arrière-petite-nièce. Il y a aussi une grand-tante fantasque qui avait du talent et exposait. Avoir de tels ancêtres peut sinon obliger du moins inciter à suivre le même chemin et rendre crédible des facilités qui deviennent des dons. Le milieu de naissance est également important. Berthe appartient à la bourgeoisie de son époque. Sa famille est aisée par les fonctions exercées par son père, mais elle est aussi, par rapport aux attendus de cette catégorie sociale, un peu anticonformiste. Le père de Berthe aurait préféré être architecte plutôt que préfet et sa femme aurait aimé être musicienne pour remplir pleinement son rôle de maîtresse de maison. Le couple semble ainsi réunir les conditions pour favoriser au mieux le développement de leurs enfants.

Berthe, comme sa sœur cadette également peintre pour un temps, a joui de la meilleure formation artistique possible auprès de grands peintres comme Corot. Elle a également disposé à domicile de tout le matériel nécessaire. Au fil de ses avancées, elle a pu profiter d’espaces dédiés à son activité, passant d’une armoire à peinture à un petit pavillon atelier. Au-delà de ces facilités matérielles, elle a aussi bénéficié jusqu’à son mariage de l’accompagnement bienveillant de ses parents et notamment de celui de sa mère.

Pour réussir, Bona souligne aussi le rôle de la motivation. Autodéterminée, celle de Berthe est sans faille. Être peintre relève de son choix. Cette identité sociale prime sur toutes les autres et tout ce qui n’en relève pas lui donne le sentiment de perdre son temps. Sa mère si aidante voudrait qu’elle se marie. Elle refuse longtemps et, lorsqu’elle se décide, c’est un homme aimant qui soutiendra sa carrière qu’elle épouse.

Devenue mère, elle reste peintre. Sa fille qu’elle adore devient son modèle préféré, puis son élève. Comme le commente Bona, « Il y a en elle beaucoup d’amour. Mais aussi une machine de guerre » ; car Berthe Morisot veut non seulement faire de la peinture son métier mais elle veut exceller. Dure, exigeante avec elle-même, elle travaille énormément. Elle ne veut pas imiter les autres mais suivre sa propre voie. Par exemple, à propos du tableau Femme et Enfant au Balcon, elle dira : « comme arrangement cela ressemble à un Manet. Je m’en rends compte et j’en suis agacée ».

La voie qu’elle ouvre avec ses amis Auguste Renoir, Claude Monet, Edgar Degas, malgré Manet qui refuse d’intégrer le groupe, c’est l’impressionnisme. Ce courant, au nom discuté lors des sept expositions organisées, convient parfaitement aux visées picturales de Berthe Morisot. Elle veut, en effet, rendre compte de la vérité de ses impressions. Chercheuse assidue, malgré ses doutes, elle se rapproche progressivement de son objectif. Comme le souligne Bona, ses impressions très personnelles, par la légèreté du trait de plus en plus volatil, s’épurent, ouvrant la voie à ce qui deviendra l’abstraction.

Berthe Morisot n’est pas seule dans l’aventure picturale de cette deuxième moitié du 20e siècle, son capital social est important. La plupart des peintres, comme des musiciens et des écrivains qui ont compté, se retrouvent dans les dîners organisés par Madame Morisot mère ou par Madame Manet, faisant prendre conscience que, dans ce destin exceptionnel, ce n’est pas seulement celui d’une femme qui est célébré, mais celui d’une femme de la bourgeoisie française de cette époque. L’identité féminine, très mise à l’honneur aujourd’hui, ne suffit peut-être pas en tant que telle à rendre compte de l’étouffement d’autres femmes talentueuses.