L’artiste en animateur culturel

L’artiste en animateur culturel
Couverture du livre "La résidence d’artiste" publié au PUF. Dirigé par Catherine Douzou et Nicole Denoit, il étudie les enjeux de la résidence d'artiste.
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Nous savons bien chez Art Critique, pour nous en faire souvent le relais auprès de nos lecteurs artistes, que les prix et résidences libres de sujet sont rares et que ces dispositifs favorisent généralement les thématiques les plus à la mode. Axé sur l’écologie pour le premier et sur le numérique pour le second, l’appel à candidatures pour le prix Lee Ufan et celui pour la résidence Chroniques dont nous parlions récemment en sont de bons exemples. Cet appui aux tendances actuelles est néanmoins contrebalancé par d’autres formes de soutien à la création. Les galeries, par exemple, dont le but est de vendre des œuvres, défendent d’autres lignes car les goûts des collectionneurs, quand ils ne suivent pas les tendances, sont multiples et variés. Il n’y a donc pas péril en matière de diversité des pratiques artistiques.

Par ailleurs, si les appels à projets thématiques reconduisent souvent les tendances actuelles en termes de sujets, ils ne contribuent pas à dessiner une figure d’artiste unique. Les modalités d’une résidence (constitution de dossier, obligation de déplacement, accueil au sein d’une équipe, etc.) définissent nécessairement un certain type de profil (jeune ou du moins sans obligation familiale, plutôt diplômé ou a minima en mesure de réaliser un portfolio, capable de s’adapter, etc.) mais les appels, comme ceux de Lee Ufan ou de Chroniques, n’imposent pas un profil type. On pourrait par ailleurs dire la même chose des galeries qui, elles aussi, ont des critères extra-artistiques pour sélectionner les artistes dont elles vont représenter le travail : sociabilité, présence sur les réseaux, capacité à expliquer sa démarche, etc. Il n’y a donc pas non plus trop d’inquiétude à avoir quant à un risque d’uniformisation des profils d’artistes.

La diffusion récente d’un appel à projets émanant d’un opérateur culturel étatique nous pose en revanche question tant il reflète une dynamique qui, bien que problématique, tend à se diffuser. Celui-ci n’est pas destiné à des artistes mais à des structures souhaitant mettre en place une résidence d’artistes sur leur territoire et le cahier des charges, très précis, dessine cette fois une figure de l’artiste bien particulière. L’aide de l’état sera en effet attribuée aux structures dont la résidence d’artistes exigera des plasticiens qu’ils intègrent à leurs processus de recherche et de création la participation des habitants venus de tous horizons, géographique, social et générationnel (avec un accent mis sur les enfants et les jeunes). Par ailleurs, le soutien financier de l’état récompensera les structures dont la résidence d’artistes favorisera les créateurs souhaitant mettre en valeur les caractéristiques de ces territoires où, selon l’appel, « l’offre culturelle fait défaut ».

L’artiste d’hier peignait des scènes religieuses pour le compte de l’Église, celui d’aujourd’hui occupe les enfants et construit du lien social pour le compte de l’État. Pourquoi pas ? D’un point de vue financier, le projet peut se défendre : il est sans doute moins coûteux de demander à un artiste soutenu par une association culturelle d’animer un territoire que de construire des écoles et des musées, et le pays traverse une période de crise économique. Néanmoins, avons-nous été consultés? Car il n’est pas question ici d’argent privé, comme c’est le cas du Prix Lee Ufan financé par la Maison Guerlain ou de la résidence Chroniques mise à disposition par la société de production Recto-Verso. Alors que cet appel à projet convoque « la prise en compte des droits culturels » et « l’implication citoyenne dans la culture », sommes-nous d’accord, collectivement, pour que l’argent prélevé par la puissance publique serve à valoriser cette figure de l’artiste ? La question n’a, à notre connaissance, pas été posée.