À propos de l’exposition de Joana Hadjithomas & Khalil Joreige « Comme le jour se fait lorsque la nuit s’en va » visible jusqu’au 20 juillet à la Galerie In Situ – Fabienne Leclerc de Romainville.
Les musées, et l’art en général, ont notamment pour vocation de nous donner à voir ce que l’on ne voit pas sans eux.
Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, le duo d’artistes franco-libanais lauréats du Prix Marcel Duchamp 2017, réalisateurs, entre autres, du magnifique Je veux voir (2008, avec Catherine Deneuve et Rabih Mroué), ont pris cette vocation au pied de la lettre. Je veux voir — je veux montrer — je veux partager — partager la lumière.
Depuis longtemps, Joana Hadjithomas & Khalil Joreige sont à la recherche de la lumière, des fantômes, des souvenirs, des traces, de ce qui reste, de la manière dont le passé s’infiltre dans le présent pour dessiner l’avenir. Au Jeu de Paume en 2016, leur exposition s’intitulait : « Se souvenir de la lumière ». En poètes de l’image, les artistes pourraient dire : « De la lumière avant toute chose ». Et de la musique aussi, comme Verlaine — avec la merveilleuse contribution de Lama Sawaya. Et de la nuance…
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Paul Verlaine, Jadis et Naguère (1885)
Jadis et naguère, il y avait des sarcophages. Il y avait, jadis et naguère, de merveilleux musées à Beyrouth. Mais soudain, le Musée National de Beyrouth se retrouve privé d’électricité, comme c’est si souvent le cas à Beyrouth, et encore plus depuis la tragique explosion du 4 août 2020. Les visiteurs découvrent les œuvres dans le noir, éclairant les reliques du passé que le musée conserve précieusement envers et contre tout, de leurs téléphones portables, créant à travers ce passé englouti une chorégraphie lumineuse dont la magie a immédiatement inspiré les deux artistes.
Pièce maîtresse de l’exposition « Comme le jour se fait lorsque la nuit s’en va », le film Sarcophage aux amours ivres (2024) est également présenté à la 74e Berlinale. Dans ce sarcophage — hommage aux amours englouties dans l’alcool et le passé, englouties dans l’obscurité qui sied tant aux amours, on retrouve, comme souvent chez Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, la raréfaction et la soustraction de l’image, la fabrication de nouvelles icônes « latentes », un nouveau rêve à construire encore… La quête de la lumière, Graal du duo, cette quête aussi désespérée qu’essentielle à extraire du chaos et de la poussière quelques lueurs de vie, illumine cette nouvelle exposition.
« Les volumes sont perçus sous un jour nouveau, les images se déforment, se décuplent, une étrange atmosphère s’installe, quelque chose de l’ordre de la science-fiction. Cet inattendu dialogue entre chaque individu et les traces de civilisations passées leur découvre une intimité, un commun, alors que le cours normal des choses se trouve perturbé par la réalité politique et l’effondrement économique d’un pays. » écrit Taddeo Reinhardt dans le très beau texte qui accompagne l’exposition.
Il faut aller à Romainville, pour lier le rêve au rêve…