Quand Raynaud s’invite chez Prouvé

Quand Raynaud s’invite chez Prouvé
Vue de l’exposition « Alphabet pour adulte » présentée à la galerie Nathan Chiche
À voir

La galerie Nathan Chiche vient d’ouvrir ses portes à Vantoux (région Grand Est). Installée dans un lieu atypique, une école conçue par Jean Prouvé en 1951, elle propose une exposition de l’artiste contemporain Jean-Pierre Raynaud conçue comme un dialogue avec l’architecte moderne.

Jean Prouvé

On ne présente plus Prouvé. Issu d’une famille investie dans l’Art nouveau, ferronnier d’art avant de devenir ingénieur et industriel, il est l’architecte qui aura su concilier élégance et rationalité. Transformant les techniques innovantes en lignes pures, il a exploité les potentialités de la tôle d’acier à différentes échelles, de la poignée de porte au bâtiment collectif en passant par le mobilier. Grâce à elle, il a inventé des structures légères capables de répondre aux exigences de son époque : la création d’espaces transformables (la maison du peuple de Clichy) ou éphémères (les baraquements pour le ministère des Armées) devant parfois être délivrés rapidement (les maisons d’urgence pour les sinistrés de Lorraine et de Franche-Comté). Membre, comme Le Corbusier ou Charlotte Perriand, de l’Union des artistes modernes, il a partagé avec ce groupe, comme avec celui du Bauhaus, une conception de l’architecture comme pure construction où seul ce qui a servi à l’édification est visible. Less is more, on ne trouve aucun ornement dans les éléments conçus par Prouvé mais « une sorte de perfection logique, où le visuel relaie le construit » comme l’écrit Jacqueline Puyau. De cette logique du matériau l’architecte a extrait un vocabulaire de formes devenues depuis emblématiques du « style Prouvé » tels que les « murs rideaux » ou les « portiques axiaux ». Ce sont ces éléments que l’on retrouve dans l’ancienne école de Vantoux où les panneaux de tôles d’acier ajourés de hublots ont été rassemblés autour d’une structure portique qui se démarque par sa couleur rouge. Classé monument historique, l’édifice, qui comporte une salle de classe, un atelier et un logement, a été réalisé en seulement deux semaines.

 

Jean-Pierre Raynaud

On ne présente plus non plus Raynaud. Artiste français reconnu à l’international, il est connu pour son usage d’objets quotidiens. Pots de fleurs on ne peut plus standard, carreaux de céramique blanche que chacun de nous a déjà rencontrés dans sa vie, panneaux de signalisation ; les objets qui composent son univers sont pourtant tout sauf des ready-mades. À l’inverse d’un Marcel Duchamp s’attachant à ne surtout pas choisir ces objets usuels, à rester au plus près de cette liberté d’indifférence propre à l’objet-trouvé, Raynaud entretient un rapport intime à ces éléments, adoptant, par exemple, le pot de fleurs à la suite de ses études d’horticulteur. Ses « psycho-objets » comme il les nomme lui-même ne sont d’ailleurs neutres qu’en apparence. Le pot de fleurs est bien souvent rouge sang. Les carreaux de céramique charrient avec eux l’ambiance des lieux (hôpitaux, abattoirs ou morgues) où ils sont employés. Chez Raynaud, soit ils transforment les espaces qu’ils recouvrent, containers ou maisons, en véritables bunkers, soit ils se présentent morcelés dans des bacs à déchets chirurgicaux. Les panneaux de signalisation sont des sens interdits ou des signaux de danger radioactifs. Si ordinaire il y a, et il est bien palpable, c’est celui de la menace. Incarné dans ces objets mêlant histoire personnelle et mémoire collective, le danger de mort peut être celui qui planait sur le père de l’artiste décédé lors d’un bombardement en 1943 mais il peut être aussi celui qui guette tout un chacun.

 

La rencontre

Faire se rencontrer Prouvé, l’architecte qui après avoir tout perdu construisit sa maison sur les hauteurs de Nancy en 1954, et Raynaud, l’artiste qui détruisit sa maison de La Celle-Saint-Cloud après l’avoir investie et transformée pendant presque 25 ans, n’a finalement rien de surprenant.

À la pensée constructive de Prouvé répond la logique destructive de Raynaud comme le montre la première salle de l’exposition où douze pupitres biplaces conçus par l’architecte servent de socles à 24 vanités créées par l’artiste. Pour chacune d’elles, Raynaud a fait imprimer l’image d’un crâne néolithique sur un carreau de céramique. Les formes noires sur fond blanc sont agrémentées de quelques éléments colorés, des lettres en plastique telles qu’on en trouve quelquefois aimantées sur des tableaux blancs d’écoliers.

L’ensemble n’est ni triste ni gai et ce jugement suspendu est d’autant plus vrai dans la seconde salle où les vanités prennent cette fois place sur les panneaux à hublots de Prouvé. On assiste alors à un jeu formel dans lequel la courbe des crânes répond à la circularité des vitres. Placées à la verticale, les œuvres évoquent les chaises électriques d’Andy Warhol et, comme chez l’artiste pop, la structure prend le pas sur ses contenus. Disposés selon une grille qui en accentue l’aspect répétitif, les symboles juxtaposés perdent encore de leur force.

Avec cet « Alphabet pour adulte », du titre donné à l’exposition, l’artiste met en jeu le caractère absurde de nos existences dont l’avenir est écrit mais qu’il faut pourtant construire avec la patience de l’écolier. Inaugurée à la mi-mai, l’exposition est à découvrir jusqu’au 26 août et ce premier dialogue ouvre une programmation qui aura pour spécificité de mettre en lumière des duos d’artistes.