L’œuvre Shadow is coming (2024) de l’artiste Klara Kristalova, dont le travail est actuellement exposé à la galerie Perrotin, rappelle Sans titre de Georg Baselitz (1964). Les deux sont des aquarelles sur papier.
Sans Titre de Baselitz reprend le vocabulaire satanique et destructeur Des Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont (1846 – 1870). Dans cette libération spontanée de la forme, imprégnée d’une sorte de folie pubertaire, se retrouve néanmoins un climat de révélation qui s’installe au sortir de l’incertitude.
Dans les deux compositions, on observe au premier plan un corps allongé, les bras étendus en croix. Dans Sans Titre, la tête est surmontée d’une auréole et repose sur la berge d’un courant d’eau. Les deux corps sont paralysés, ce qui évoque l’un des passages des Chants où Maldoror se retrouve dans un état de stagnation, de fusion avec la nature environnante, « mes bras paralysés, changés en bûche » écrit Lautréamont.
Nous remarquons dans l’œuvre de Baselitz l’étonnante similitude entre le positionnement en miroir du tas de bois et les troncs d’arbres qui s’élèvent à l’arrière-plan de la composition. Le corps peint sur le sol fait écho, par sa forme, au tronc d’arbre en forme de croix situé à l’extrémité droite de la composition. Ces correspondances évoquent ce que le philosophe Justin (v. 165) souligne dans son Apologies, à savoir que la présence de la croix se retrouve dans la nature. L’homme les bras étendus et l’arbre symbolisent la croix. La présence du nimbe entourant la tête de la figure en croix désigne « la lumière de l’aura, d’origine supraterrestre[1] ». Le désespoir du corps du personnage qui semble défunt apparaît désormais sous la lumière jaune de l’espérance qui éclôt dans l’image. Cette nouvelle espérance est renforcée par la présence de l’écoulement de l’eau en bas du tableau qui symbolise « la fertilité, la mort, et le renouvellement[2] ». ́
Dans l’œuvre de Kristalova, l’idée de révélation est présente mais plus instable : il est difficile dans la lecture de l’image oscillant entre l’espoir et la menace de trouver un point d’appui.
C’est surtout par leur aspect anthropomorphe que les figures se rencontrent dans la composition. L’arbre anthropomorphe sur le côté droit de la composition est, comme l’indique le titre, l’ombre du corps allongé sur le sol qui arrive vers lui. Les bras tendus en réponse pourraient signifier (au vu de la similitude avec l’œuvre de Baselitz) l’acte de discernement face à son ombre qui entre dans la lumière de sa conscience. Ces bras pourraient aussi évoquer une crainte de sa propre ombre essentielle pour finalement accepter la coexistence des contraires en soi, riche de possibilités, dont la croix est d’ailleurs un symbole.
La difficulté de discerner les frontières entre le bien et le mal est présente dans l’œuvre de Kristalova. Son point de basculement n’est jamais certain. Cette dualité qui se révèle à la lecture de l’œuvre est renforcée par la présence de la couleur verte, presque translucide. Si le jaune de la composition de Baselitz renvoie directement à l’idée de révélation divine, le vert garde quant à lui un caractère complexe rappelant à la fois « le vert du bourgeon et celui de la moisissure : la vie et la mort [3] ».
[1] Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant.
[2] Ibidem
[3] Ibidem