La galerie frank elbaz réunit les créations des artistes Sheila Hicks, Robert Storr, Stephane Henry et Yasuhisa Kohyama au sein d’une exposition intitulée « Emerging, Submerging, Reemerging ». Émerger, S’immerger, Réémerger, trois verbes d’action indiquant une interaction entre un corps et un liquide, par le titre qu’elle a choisi, la galerie annonce la couleur. Certes, les œuvres exposées résistent à l’interprétation mais leurs formes hermétiques n’interdisent pas une plongée en profondeur, et ce notamment grâce aux matières utilisées et au processus mis en place par les artistes.
Des tableaux circulaires de l’artiste textile Sheila Hicks aux alignements de fils verticaux au sein de ses tableaux rectangulaires, des formats carrés du peintre Robert Storr aux bandes horizontales qui y prennent place, les formes externes comme internes sont celles de l’abstraction géométrique. Le spectateur pourrait rester interdit devant ces cercles, carrés, lignes verticales et bandes horizontales renvoyant à l’abstraction d’un espace mathématique mais son manque de rigueur ouvre comme une brèche. Loin de la perfection géométrique, il y a dans ces œuvres une place pour l’homme et ses défauts.
Cette ouverture, on la doit tout d’abord aux matières choisies par les quatre artistes. Les fils colorés de Hicks n’ont pas la solidité de tiges en acier ; ils s’effilochent faisant se mêler leurs différentes teintes de la même façon que les formes se fondent dans les fonds de Storr en raison de l’emploi, au sein d’un même tableau, de peintures aux temps de séchage différents. C’est également le cas dans les œuvres de Stéphane Henry qui lui aussi mélange des matériaux aux propriétés distinctes. Superposant minéraux, couleurs et produits chimiques, il crée des compositions au sein desquelles les bandes horizontales fusionnent plus qu’elles ne se démarquent. L’usage de l’argile non émaillé par le céramiste Yasuhisa Kohyama implique une même porosité de la matière : les formes arrondies ne réfléchissent pas la lumière et notre regard s’enfonce dans les petites incises que présentent ses sculptures.
Cette invitation à pénétrer dans l’œuvre, on la doit donc, au-delà des propriétés matérielles de l’argile, à l’usage qu’en fait l’artiste japonais, à son choix de l’employer brut. On la doit aussi à sa volonté de laisser une place au hasard dans la création de l’œuvre car, après avoir sculpté une forme et l’avoir décorée en poinçonnant sa surface, il la livre au feu qui, à l’intérieur du four, en détermine l’aspect final. Cette place accordée au hasard au sein d’une technique nécessitant une grande maîtrise est également au centre de la démarche de Stéphane Henry. Tel un chimiste, il applique une procédure élaborée en amont puis observe la manière dont les différents éléments interagissent, se transformant les uns et les autres en entrant en contact et modifiant l’ensemble de la composition de départ. En partie fruit des circonstances, la géométrie accidentée se laisse plus facilement aborder.
Loin des formes nettes des compositions des peintres de l’Hard Edge, loin des matières réfléchissantes des minimalistes, les œuvres de Sheila Hicks, Robert Storr, Stephane Henry et Yasuhisa Kohyama témoignent d’une certaine humilité quant au rôle de l’artiste. Les dimensions des œuvres présentées dans cette exposition répondent à cette posture de retrait. Elles sont à découvrir jusqu’au 1er mai.