La galerie Les filles du calvaire présente jusqu’au 24 février une exposition consacrée à l’artiste abstrait Olivier Mosset. Réparties dans son grand espace situé rue Chapon, des peintures récentes de formats monumentaux côtoient des tableaux aux dimensions plus modestes réalisés au début de la carrière de l’artiste. L’ensemble offre un panorama sur les évolutions de ses préoccupations durant presque soixante ans.
Parmi les pièces historiques, se trouve un tableau de la série des cercles noirs sur fonds blancs. Réalisées à quelque 200 exemplaires entre 1966 et 1974, ces œuvres témoignent du refus de l’artiste de répondre aux exigences du marché de l’art et notamment à la demande de pièces uniques. Avec ces toiles présentant un simple cercle, forme dont il était conscient qu’elle avait été utilisée par bien d’autres peintres avant lui, il s’opposait aussi à la figure de l’artiste comme créateur. Ces œuvres à l’esthétique neutre, dont la forme circulaire pouvait, au mieux, renvoyer au degré zéro de la peinture, furent popularisées à l’occasion des « Manifestations » organisées en collaboration avec Daniel Buren, Michel Parmentier et Niele Toroni. Sous l’appellation BMPT, ces artistes réunis par une même volonté de démystifier la peinture échangeaient leurs œuvres, signant les tableaux effectués par les autres.
Si l’on regarde l’évolution des pratiques de chacun d’eux, Buren étant resté associé à ses bandes et Toroni à ses empreintes de pinceaux, sans doute Mosset était-il le plus convaincu que les formes appartiennent à tous. Il est probable également que son premier voyage aux États-Unis en 1967 ait modifié son rapport à l’art. Ainsi, en 1972, quatre ans après que BMPT a organisé sa dernière manifestation collective, Mosset emprunte le motif des bandes à son ancien collègue. Si l’on peut lire ce geste « appropriationniste » dans la continuité d’une réflexion conceptuelle visant à interroger l’identité visuelle, le rapport entre signe et auteur, l’artiste a eu l’occasion de dire à quel point c’était la forme qui avait retenu son attention. La bande, à l’inverse du cercle qui se détache sur un fond, ne permet pas de distinguer forme et fond. C’est en peintre qu’il s’est intéressé à la bande et les quatre lithographies noir et rose actuellement exposées à la galerie Les filles du calvaire témoignent de ce goût pour l’effacement du dessin dans l’aplat qui se réalise pleinement dans le monochrome.
En 1977, Mosset s’installe à New York et rejoint peu après les membres du Radical Painting Group. Il contacte tout d’abord Marcia Hafif qui conçoit le monochrome comme la voie à emprunter pour revivifier la peinture. Selon elle, alors que les premiers tableaux de ce type ont été, avec le suprématisme russe et Kasimir Malevitch, des affirmations de la fin de l’art, ils doivent permettre au contraire de distinguer la multitude de choix auxquels un artiste est confronté dans l’acte de peindre : quelle teinte, quel matériau, quel type d’application, quel procédé de monstration ? Les artistes doivent assumer leur fonction affirme Hafif qui place en regard des monochromes d’Alexandre Rodtchenko, rouge pur, bleu pur et jaune pur, ses propres monochromes, rouge cadmium moyen, jaune cadmium moyen et bleu ultramarin. La couleur spécifique remplace la couleur théorique qui est, selon elle, une pure vue de l’esprit[1]. Les deux tableaux de dimensions identiques mais de couleurs différentes peints par Mosset, surfaces lumineuses flottant dans l’espace d’exposition, incarnent cette réflexion sur le monochrome à laquelle l’artiste n’a jamais renoncé.
Mais, pour Mosset, dont le premier monochrome coïncidait exactement avec les dimensions du mur qui l’accueillait (Peinture rouge réalisé pour la Xe biennale de Paris), la couleur présentée seule a aussi pour intérêt de faire de la surface non plus un support pour des formes mais une forme en elle-même. Et dès lors que la toile se confond avec le motif, le travail de son contour paraît nécessaire. Mosset a ainsi très vite recours à la technique du shaped canvas qu’il emprunte à Frank Stella. L’ensemble de tableaux en forme de croix et de cercle montré dans l’exposition témoigne de cette période. Faisant alterner trois « X » et trois « O », cet ensemble revisite les tableaux présentant des cercles mais il évoque aussi les tableaux réalisés juste avant cette série, ceux simplement marqués de la lettre « A » effectués de 1964 à 1966. Et alors que cette première lettre de l’alphabet symbolisait le degré zéro du message, le sigle XOXOXO formé par les shaped canvas semble confirmer ce que l’artiste Serge Bard rapportait de ses conversations avec Mosset dans le catalogue n° 1 : « Cette peinture n’est que ce qu’elle est [2] ».
Et en effet, toutes les peintures de Mosset, celles évoquées ici et d’autres exposées à la galerie, ne parlent que de peinture, mais la peinture est un vaste sujet et Mosset l’a fait sien pendant plus de cinquante ans.
[1] Voir Marcia Hafif, “Beginning Again”, Artforum, vol XVII, n°1, septembre 1978
[2] Olivier Mosset, catalogue n° 1, Paris, 1968. Disponible ici : https://issuu.com/jcajcriticavit/docs/catalogue_n__1