Douze ans après la rétrospective qu’il lui avait consacrée, le musée Marmottan Monet met à nouveau le travail de Berthe Morisot à l’honneur. Intitulée « Berthe Morisot et l’art du XVIIIe siècle », cette exposition, conçue par les historiens de l’art Marianne Mathieu et Dominique d’Arnoult assistés de l’attachée de conservation du musée Claire Gooden, s’attache à montrer les influences de la peinture du XVIIIe sur l’artiste impressionniste.
L’inclination de Berthe Morisot (1841-1895) pour le XVIIIe siècle est une chose avérée. En 1883, l’artiste, qui ayant dépassé la quarantaine n’en était plus à la formation de son goût, faisait par exemple décorer son appartement dans le style de ce siècle. Un an après avoir fait installer les lambris, elle accrochait sur son mur une copie d’un détail du tableau de François Boucher (1703-1770) intitulé « Les Forges de Vulcain », seul tableau de sa propre main à rejoindre son intérieur.
Ce goût pour le passé, Morisot le doit tout d’abord à sa famille et notamment à son père qui, dès les années quarante, constitue une collection d’œuvres dans la perspective d’ouvrir un jour un musée. Plus tard, lorsque la famille rejoint Paris, elle fréquente l’hôtel particulier de Léon Riesener (1808-1878), petit-fils de l’ébéniste Jean-Henri Riesener (1734-1806) dont les meubles s’accordent aux tentures de Boucher. C’est dans cette demeure, transformée par son propriétaire en une école de peinture célébrant celle du XVIIIe, que Morisot rencontrera la peintre Marcello, de son vrai nom Adèle d’Affry (1836-1879), avec qui elle se liera d’amitié et pour laquelle elle posera durant de longues séances. Mais, bien avant l’achèvement de son portrait par son amie en 1875, Morisot qui souhaite devenir peintre découvre la peinture du XVIIIe dans les musées. Après avoir fait ses premières leçons dans l’atelier de Geoffroy-Alphonse Chocarne (1797-1870), elle est en effet l’élève de Joseph Guichard (1806-1880) qui, pour lui inculquer la composition du dessin, l’inscrit comme copiste au Louvre en 1858. C’est à partir de cette date qu’elle découvre Antoine Watteau (1684-1721), Jean Honoré Fragonard (1732-1806) ou encore Jean-Baptiste Perronneau (1716-1783). Bien plus tard, lorsqu’elle se rendra sur l’île de Wight et à Londres à l’occasion de son voyage de noces en 1875, elle sera également éblouie par la version anglaise de l’art du XVIIIe siècle. Ainsi, Joshua Reynolds (1723-1792), George Romney (1734-1802) et Thomas Gainsborough (1727-1788) marqueront ses propres peintures.
En effet, Morisot ne se contente pas de donner un aspect XVIIIe à la décoration de son appartement ; en tant que peintre, elle intègre et adapte les trouvailles de ses prédécesseurs à ses propres tableaux. À l’exception de Boucher dont elle recopie un détail pour son œuvre « Vénus va demander des armes à Vulcain » et un autre pour son tableau « Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé », Morisot se situe dans un rapport d’imprégnation plus que de copie.
Aux peintres du XVIIIe, elle emprunte des thèmes précis, comme celui de la jeune fille endormie dont un écrit de sa main témoigne qu’il lui a été inspiré par Boucher, mais plus globalement un certain type de sujet : des portraits de femmes à la Romney et des scènes de plaisirs mondains à la Watteau. Morisot se reconnaît dans cette peinture qui met de côté les sujets sérieux pour laisser place à l’expression de la grâce féminine et au bonheur quotidien. À ces peintres, elle emprunte aussi des techniques et notamment celle du pastel qu’elle découvre à l’occasion d’une exposition donnée par la galerie Georges Petit en 1885. Morisot est enthousiasmée par l’œuvre de Perronneau et, à partir de cette date, elle réalise systématiquement un pastel avant d’effectuer sa composition à l’huile. Il lui arrive même de mêler les deux techniques. Le pastel lui permet de libérer encore plus son geste car la spontanéité de la touche est également un aspect de la peinture du XVIIIe qui l’intéresse. Elle admire particulièrement la rapidité du dessin de Fragonard notamment dans ses esquisses. Le flou vaporeux présent dans certains ciels de Watteau, effet naturel qu’accentueront les impressionnistes en général, est également au centre de son attention, de même que leurs couleurs délicates. Berthe Morisot les éclaircira encore après son voyage à Londres, usant, comme Gainsborough, de blancs teintés. Enfin, certains objets de cette époque appartenant à Morisot sont figurés dans ses peintures. C’est le cas d’un de ses éventails qu’elle représente dans le tableau « Au bal » et il n’est sans doute pas anodin que l’objet choisi pour intégrer cette composition de 1875 soit lui-même décoré d’une scène galante évoquant l’art de Fragonard.
Ainsi, si contrairement à la légende Morisot n’a aucun lien de parenté avec ce dernier, elle a réellement été influencée par les peintres de ce siècle et il n’y a rien de surprenant à ce que Stéphane Mallarmé, découvrant une exposition de Morisot présentée chez Paul Durand-Ruel un an après la mort de l’artiste, ait contribué à diffuser ce mythe. Les rapprochements que le Musée Marmottan Monet établit entre les tableaux de la peintre impressionniste et ceux des peintres français et anglais du XVIIIe témoignent d’une réelle filiation artistique. Ils sont à découvrir jusqu’au 3 mars.