« Dans l’appartement de Léonce Rosenberg. De Chirico, Ernst, Léger, Picabia… », l’exposition que propose en ce moment Le Musée national Picasso à Paris inclut dans son titre un début d’énumération, celle des nombreux artistes auxquels Rosenberg a fait appel pour décorer son appartement.
En 1928 en effet, le marchand et galeriste parisien s’installe dans un appartement du XVIe arrondissement et demande aux artistes qu’il admire de venir décorer les quelque 300 m2 de sa nouvelle demeure. Si le décor de cet appartement est finalement démantelé quelques mois après son achèvement, il compose un temps une œuvre totale où chaque pièce est investie par un artiste. Certains, tels Pablo Picasso ou Georges Braque, sont restés des grands noms de notre culture commune, d’autres, comme le sculpteur Ervand Kotchar ou le peintre Manuel Rendón Seminario, n’ont pas acquis la même renommée.
Les douze artistes sollicités par Rosenberg sont néanmoins présents dans la restitution du Musée Picasso, laquelle réunit une quarantaine d’œuvres de cette collection qui fut dispersée suite à la crise financière des années trente.
Le spectateur découvre ainsi le cycle des « Quatre Saisons » conçu pour le vestibule d’entrée par Fernand Léger, celui des « Gladiateurs » pensé pour le hall de réception par Giorgio de Chirico, les sculptures de Joseph Csaky destinées à la salle à manger et les peintures d’Auguste Herbin vouées au fumoir. Il peut aussi voir les œuvres réalisées pour les pièces privées : le cycle des « Transparences » que Francis Picabia imagina pour la chambre de Madame Rosenberg ou l’étonnant tableau L’équilibriste que Gino Severini effectua pour la chambre d’une de leurs filles. Dans cette huile sur toile de 1,58 m par 1,44 m, des personnages inspirés de la commedia dell’arte se situent au premier plan d’un décor classique en ruine. Rigides et disproportionnés, ils effectuent leurs activités qui semblent dénuées de sens sous un ciel rouge sang. Le titre même semble faire écho à la période d’incertitude durant laquelle l’œuvre fut réalisée.
Ce contexte de l’entre-deux-guerres, commun à toutes les œuvres conçues pour cet appartement, est sans doute d’ailleurs ce qui crée l’unité de cet ensemble rassemblant des artistes très différents. Dans cette période marquée par l’instabilité, chacun d’eux oscille entre espoir dans le futur et volonté de se réfugier dans le passé et, parce que ce sont des peintres et des sculpteurs, cette hésitation prend la forme dans leurs productions d’une association entre les mouvements les plus récents (cubisme, abstraction, surréalisme) et un certain classicisme.
Dans une scénographie sobre qui n’entend pas restituer l’ambiance de l’appartement mais témoigne par quelques schémas de meubles dessinés sous les tableaux de la destination de ces derniers, l’exposition saisit cette étonnante esthétique de l’entre-deux-guerres où se combinent modernité et académisme. On comprend mieux, dès lors, pourquoi c’est le Musée Picasso qui se trouve à l’initiative de cet évènement. Dès les années 1910 en effet, le grand peintre cubiste réinterprétait des scènes classiques.
Curatée par Juliette Pozzo et Giovanni Casini, l’exposition, qui s’accompagne de photographies, de lettres et de plans d’archives, est à voir jusqu’au 19 mai 2024.