Un marché aux débuts prometteurs
Le confinement lié à la covid 19 en 2021 avait ouvert les portes de la numérisation du monde de l’art, les galeries et musées s’étant alors essayés aux expositions virtuelles et autres activités online. Il était donc logique que les NFT (non fungible token) existant déjà depuis 2017 intègrent le marché de l’art durant cet épisode.
La vente en mars 2021 pour plus de 69 millions de dollars du jeton non fongible Everydays : the First 5 000 Days, fichier numérique assemblant divers dessins de l’artiste Beeple, était venue incarner cette nouvelle facette du marché. Réalisée par Christie’s, cette vente avait fait de Beeple le troisième artiste vivant le plus cher au monde, juste après Jeff Koons et David Hockney. Spectaculaire, elle ne fut d’ailleurs pas isolée puisque la maison avait, cette année-là, vendu pour plus de 150 millions de dollars d’œuvres NFT.
Le marché des NFT artistiques enfin ouvert, il semblait, à cette époque, devoir toujours s’accroître tant les avantages paraissaient nombreux.
Pour les artistes, outre le fait qu’il leur ouvrait un nouvel espace d’expression, le marché des NFT leur donnait surtout un moyen supplémentaire de se rémunérer. Plutôt faciles à effectuer puisqu’il suffit de déposer sa création sur une place de marché Web 3.0 telles OpenSea ou Blur (les plateformes de référence pour l’art numérique), les ventes semblaient intéressantes pour au moins deux raisons. D’une part, l’utilisation de cryptomonnaies (bitcoin ou ether), c’est-à-dire de monnaies décentralisées permettant un transfert de compte à compte, réduit les intermédiaires et leurs frais de service. D’autre part, le marché des NFT promettait aux artistes plasticiens de toucher, comme c’est le cas pour les musiciens ou réalisateurs de films, des royalties en cas de revente de leurs œuvres.
Côté acheteurs aussi les bénéfices semblaient nombreux. Également simple à effectuer car nécessitant seulement une connexion internet, l’achat d’une œuvre NFT garantissait par ailleurs une certaine transparence quant à sa provenance. En effet, chaque NFT possède un numéro d’authentification sur la blockchain et cette technologie de stockage d’informations, réputée très sécurisée, permet d’accéder à l’historique des échanges.
Un marché actuellement dans la tourmente
Pourtant, début 2022, si le marché des NFT artistiques se portait plutôt mieux que les autres marchés de NFT, on observait déjà un ralentissement important qui à partir du printemps a conduit plusieurs entreprises de cryptomonnaies, et notamment la fameuse FTX, à la faillite.
L’enthousiasme des collectionneurs dits digital-first, déjà plus frileux, s’est encore considérablement refroidi à la fin de l’année dernière. En septembre 2023, le collectif d’experts en cryptomonnaies DappGambl signait un article dans lequel ils annonçaient que 95 % des NFT ne valaient plus rien. Selon une autre étude, menée par la plateforme d’analyse NFTGo, la capitalisation boursière des NFT avait baissé de 40 % durant l’année 2023. Quel que soit le chiffre exact, il semblerait donc que les NFT n’aient pas réussi à s’imposer durablement sur les marchés et c’est également le cas dans le secteur de l’art. Est-ce la faute des adeptes du flip du nom donné aux spéculateurs qui achètent beaucoup mais revendent tout aussi rapidement ? Les raisons semblent plus nombreuses, et elles sont aussi plus complexes.
Côté artiste, le droit de suite en cas de revente d’œuvre (mentionné plus haut) et inscrit dans la blockchain n’est, dans les faits, pas garanti, plusieurs plateformes ayant réussi à contourner l’obligation.
Mais la méfiance provient surtout des acheteurs. L’utilisation de cryptomonnaies, dispositif peu connecté au secteur financier traditionnel et considéré, à ce titre, comme risqué, est évidemment le premier frein mais il se double en France de raisons plus fondamentales liées à la non-reconnaissance par la loi du statut d’œuvre des NFT.
Un rapport de l’Inspection générale des finances datant de mai 2023 stipule en effet de façon très nette qu’un NFT ne peut pas, en droit français, constituer une œuvre d’art. Plus grave encore, si un NFT ne peut pas être considéré comme une œuvre en tant qu’il ne remplit pas les conditions d’originalité et de mise en forme qui permet cette identification selon le Code de la propriété intellectuelle, il ne peut pas non plus être qualifié de support de l’œuvre. En effet, selon l’IGF, rien ne garantit « en cas d’émission d’un NFT « sur » une œuvre d’art, que seul un NFT a été émis, que l’œuvre vers laquelle il pointe est authentique et que le fichier ne sera pas altéré ultérieurement ».
En d’autres termes, si les NFT font référence à une œuvre d’art, ils ne constituent pas des certificats d’authenticité ou d’unicité de l’œuvre et n’en certifient pas la propriété.
Cette non-reconnaissance par la loi a évidemment des répercussions très concrètes pour les collectionneurs, notamment en matière fiscale. En effet, selon le Code Général des Impôts, le régime des objets précieux et œuvres d’art ne peut s’appliquer à des objets produits à plus de douze exemplaires ; or un fichier numérique ne peut se conformer à cette exigence. Le régime des biens meubles est donc le seul applicable et il est moins avantageux.
Une attrition sur la longue durée ?
Tous ces éléments pourraient laisser penser que le marché des NFT artistiques est derrière nous mais peut-être est-il un peu tôt pour tirer ce bilan. Rappelons-nous qu’en 1927 la douane américaine reconnaissait, au terme du procès que lui avait fait Brancusi, que les objets modernes qu’elle taxait au titre d’objets manufacturés étaient en fait des sculptures exonérées de droits de douane. Il n’est pas impossible qu’à l’instar de ce cas, ce soit au droit français de s’adapter aux nouvelles réalités des œuvres et de leur vente.
En effet, si personne ne peut nier l’existence d’une crise des NFT, personne, non plus, ne mettra en doute celle d’un monde de plus en plus numérisé qui s’immisce aussi dans le secteur de l’art.
Le visage des collectionneurs change, ceux qui aujourd’hui parviennent à un pouvoir d’achat leur permettant d’investir dans l’art ont grandi avec le numérique et ce sera d’autant plus vrai pour la génération suivante. L’adoption des nouvelles technologies s’accélérant toujours, il est à parier que les systèmes de transactions hors des circuits monétaires traditionnels leur seront à ce moment familiers.
Les générations se succèdent et l’origine géographique des acheteurs varie également. Les conflits actuels, et les sanctions économiques qu’ils entraînent, favorisent l’émergence de nouvelles façons d’acheter dans certaines parties du monde où le nombre des amateurs d’art augmente. La cryptomonnaie en est une et nous serons, selon une estimation du Boston Consulting Group, plus d’un milliard de personnes à l’utiliser d’ici à 2030. Il serait curieux que le milieu de l’art soit le seul à ne pas en tirer profit.