Dans le cadre de sa programmation « Contrepoint contemporain », le Musée de l’Orangerie avait invité l’artiste Hermann Nitsch à créer des œuvres en relation avec les « Nymphéas » de Claude Monet. Malheureusement, le peintre autrichien est décédé en avril 2022 sans avoir eu le temps d’engager ce dialogue. Afin de lui rendre hommage, la directrice du musée Claire Bernardi, assistée de la conservatrice Sarah Imatte, s’est rendue dans son atelier à Mistelbach pour choisir quelques œuvres réalisées peu de temps avant sa mort. Ce sont ces dernières toiles qui sont à voir jusqu’au 11 février dans l’exposition « Hermann Nitsch. Hommage ».
On sait l’influence que Monet exerça sur la peinture américaine d’après-guerre. Avec Manet et Matisse, il fut l’un des peintres français qui permit la naissance de l’expressionnisme abstrait. Présenté au public du MoMA trente ans après la mort de l’artiste, le panneau des Nymphéas, que le conservateur Alfred Barr avait acquis pour la collection du musée en 1955, fut déterminant pour la formation d’artistes comme Jackson Pollock, Mark Rothko, Sam Francis, Joan Mitchell ou encore Clyfford Still. L’œuvre tardive de Monet eut même un tel impact sur cette génération que ces acteurs furent d’abord nommés des « impressionnistes abstraits ».
« Il faut reconnaître à la peinture abstraite moderne d’avoir redécouvert de vieux maîtres qui demeurent résolument d’avant-garde » écrivait le rédacteur en chef d’ARTnews Thomas B. Hess. Redécouverte après une période d’oubli durant laquelle son œuvre fut en partie éclipsée par celle de Cézanne, la pratique de Monet n’a cessé depuis de fasciner les peintres contemporains. C’était notamment le cas de Nitsch qui venait observer les « Nymphéas » à chacun de ses passages à Paris.
Fondateur du mouvement de l’Actionnisme viennois connu pour ses performances mêlant corps dénudés et sang d’animaux, ses tableaux présentés dans le vestibule qui précède la salle des Nymphéas sont dénués de toute esthétique sacrificielle. Si l’on retrouve ce goût prononcé pour la matière qui faisait la spécificité des performances qu’il organisait chez lui lors de journées intitulées « Théâtre des Orgies et des Mystères », elle est ici lumineuse.
Sur ces compositions qui se déploient également sous d’autres formats dans la salle contemporaine, l’instantanéité est présente mais elle n’est pas porteuse de cette charge agressive dont témoignent les giclures des grands tableaux sanguinolents pour lesquels Nitsch est connu. Jaunes de la lumière, verts de la nature, rouges toujours plus proches du rose, voire du rose pâle, que du rouge brun auquel nous avaient habitués ses tableaux signatures, ses touches vives ont été déposées avec l’assurance de l’habitude mais aussi avec une certaine douceur.
« À partir d’un abyme dionysiaque et organique d’extériorisation excessive, ma peinture d’action s’est développée jusqu’à donner naissance à la clarté florale des couleurs de la résurrection » disait Nitsch. Est-ce grâce à Monet dans la pratique duquel le peintre voyait une recherche de la lumière en direction de la résurrection ? Les tableaux réalisés peu de temps avant sa mort sont en tout cas délivrés de tout pathos.