Intime et politique, l’exposition multiple de Lili Reynaud-Dewar au Palais de Tokyo est aussi littéraire que cinématographique.
Lili Reynaud-Dewar s’inspire, jusqu’à l’appropriation, de figures artistiques issues des cultures alternatives et militantes.
Pour son exposition au Palais de Tokyo, elle convoque les cinéastes Pier Paolo Pasolini et Abel Ferrara, déjà présents dans son travail récompensé par le prix Marcel Duchamp en 2021. Dans cet opus, Lili Reynaud-Dewar se référait au film Pasolini (2014) d’Abel Ferrara et reconstituait les derniers jours du cinéaste à travers des entretiens filmés, se mettant en scène et confiant les rôles principaux à des proches, curateurs et artistes.
« Gruppo Petrolio » ouvre l’exposition. Il s’agit d’un projet collectif, réalisé avec les étudiants de la Haute école d’art et de design (Head) de Genève où Lili Reynaud-Dewar enseigne, autour de Pétrole (1992), le roman poético-politique inachevé de Pasolini – écrivain. Dans une trattoria cinématographique, 19 écrans alignés au-dessus des tables relaient les épisodes d’une comédie documentaire, menée par Lili Reynaud-Dewar dans le rôle de l’enquêtrice, sur les ravages de l’industrie pétrolière.
Avec « Salut, je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs », deuxième projet de l’exposition, l’artiste rapproche le politique et l’intime, et poursuit sa pratique de l’interview autour cette fois de la masculinité. Le dispositif se déploie dans l’espace courbe du Palais de Tokyo avec 9 chambres d’hôtel reconstituées. Sur des écrans saturés de rouge ou de rose vif, des hommes, amis de l’artiste, se racontent en gros plan. On pense à New Rose Hotel (1998), le film-cerveau d’Abel Ferrara dont l’action principale se déroule dans l’intimité de chambres d’hôtel sous vidéosurveillance. Hors champ, Lili Reynaud-Dewar orchestre les récits de ces 11 hommes, miroirs alternatifs d’un monde décrié dans Pétrole, qui dessinent les contours d’une masculinité contemporaine.
Le troisième projet s’affiche sur les murs de l’espace d’exposition. Il s’agit du prolongement d’un travail continu de l’artiste qui dévoile son processus de création et interroge la fonction-artiste, comme Pasolini s’intéressait à la ‘fonction de la réalité’. Sur les murs sont projetées des vidéos performatives d’elle-même dansant, le corps recouvert de gris monochrome, devant des expositions récentes du Palais de Tokyo, qui la relient à l’Institution. S’ajoutent de larges extraits de son journal intime pendant la préparation de l’exposition. Leur très grand format les rend presque illisibles, mais les passages accessibles, ainsi que le mél initial adressé au commissaire de l’exposition François Piron, traduisent une préparation longue et difficile, du processus de création à la réalisation finale.
À travers son exposition multiforme et son procédé d’imitation, Lili Reynaud-Dewar révèle des résonances artistiques et sociologiques entre l’époque actuelle et les œuvres-monuments qu’elle convoque, tout en les projetant dans une contemporanéité qui lui ressemble.
« Gruppo Petrolio » en libre accès et « Salut, je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs » jusqu’au 7 janvier 2024 au Palais de Tokyo, Paris 16e.