« À partir d’elle. Des artistes et leur mère » se tient au BAL jusqu’au 25 février 2024. Figure incontournable, la mère y apparaît sous de multiples facettes : souvent actrice, parfois autrice ou artiste, image de soi mais toujours un peu fantomatique.
Pour les 25 artistes présentés, leurs mères ont été – toute sa vie pour Sophie Calle ou le temps d’un instant chez Rebekka Deubner – l’objet de préoccupations plastiques.
Dans cette exposition, dont le commissariat a été assuré par Julie Héraut, la mère devient source d’inspiration mais aussi de transformation de soi. Le titre de l’exposition (extrait du Journal de deuil de Roland Barthes : « Je serai sans doute mal tant que je n’aurai pas écrit quelque chose à partir d’elle ») est à concevoir dans un double mouvement, celui du reflet et celui de la séparation. Le motif de la mère semble déplacé comme le concept de l’objet transitionnel de Daniel Winnicott. Au début des années 50, le psychanalyste américain explique que le doudou choisi par l’enfant est un moyen pour lui de prendre conscience de l’amour porté à sa mère mais aussi un moyen de s’en détacher. La peluche est donc le réceptacle de sentiments contradictoires, entre dépendance à l’égard de la mère et prise de conscience de soi face au monde extérieur. Lorsque le réalisateur, poète et journaliste, Pier Paolo Pasolini écrit « C’est dans ta grâce que je vois mon angoisse naître » (vers tiré du poème Supplica a mia madre), il dit bien l’appréhension face à une séparation impossible. Un motif que l’on retrouve dans le travail de Rebekka Deubner, qui se voit, selon les mots de la commissaire, « étreinte et contrainte » de porter par couches successives les vêtements de sa mère. Le livre Mother’s de l’artiste Miyako Ishiuchi s’ouvre par une photographie d’une blessure du corps de sa mère puis présente différents objets lui ayant appartenu (rouge à lèvres, lingerie, etc.). L’artiste, marquée par la blessure de son décès survenu deux ans auparavant, réalise ces photographies lui permettant de retracer le parcours de sa mère et de créer un journal intime de son deuil.
Porte d’entrée vers la perte de la figure maternelle, l’exposition présente une très belle série de photographies de Paul Graham extraite de l’ouvrage Mother publié en 2019. Ces grands tirages, portraits de la mère de l’artiste à la maison de retraite laissent apparaître une femme dans un état proche du sommeil, voire de l’absence, ils sont accrochés seulement par le haut et montrent un moment suspendu, fragile. Les photos semblent se dérober peu à peu.
À travers le souvenir d’instants joyeux, d’objets, de photographies mais aussi de non-dits, cette exposition s’intéresse aux traces et aux souvenirs laissés par la disparition de la figure maternelle.
Dévoilant des relations intimes, parfois conflictuelles, cette exposition semble, par certains aspects, “préparer à la mort” (selon l’expression de Chantal Akerman, la cinéaste, dans un roman intitulé Ma mère rit) de la mère avec humour et douceur.
Texte rendu possible par une visite de l’exposition par Julie Héraut dans le cadre du Master 2 – Sciences et techniques de l’exposition de l’Université Panthéon Sorbonne.