L’art de Thurnauer est une conversation, une conversation avec d’autres œuvres et une conversation entre ses œuvres, un échange qui toujours déplace la question sans y répondre définitivement.
Concernant le dialogue avec les œuvres des autres, elle l’a souvent répété, Thurnauer se situe dans un rapport d’imprégnation, pas de citation, et encore moins du côté de la citation humoristique, très fréquente chez les peintres contemporains réinterprétant les modernes.
Parmi les peintres de la modernité, Thurnauer a récemment découvert Matisse. Elle le connaissait bien sûr mais elle a saisi, sous l’aspect décoratif de ses peintures, la part conceptuelle de sa démarche, celle qui affleure, par exemple, dans le texte accompagnant les illustrations du livre Jazz.
De ce livre réalisé entre 1943 et 1947 pour l’éditeur et critique d’art grec Tériade, Matisse disait : « Découper à vif dans la couleur me rappelle la taille directe des sculpteurs. » Ce rapport entre la sculpture et les papiers découpés, Thurnauer en révélait l’évidence cet été à Nice (On se retrouve chez toi au Musée Matisse). Installant ses sculptures unicolores Matrices face aux toiles du grand maître, elle montrait la densité des motifs monochromatiques de Matisse.
Avec ses œuvres constituées de moules de lettres (de l’alphabet), elle prolongeait le dialogue engagé avec lui sous la forme de lettres (missives) : « J’ai souvent tes petites gouaches découpées qui s’inscrivent dans mon champ de vision. Comme des feux de joie qui fertilisent le regard » (Cher Henri, correspondances avec Matisse, chez Chauveau éditeur). Par ce corps à corps, elle dévoilait au public le langage de Matisse.
Aujourd’hui, dans l’exposition qu’elle présente chez Michel Rein, il n’y a plus de Matrices, mais des morceaux de ces lettres en creux atomisés dans l’espace. Espace de la toile ou espace du mur, après sa rencontre avec Matisse, l’artiste a souhaité transformer les volumes en surfaces planes. Imprégnée du travail du peintre moderne, elle les a recouvertes de couleurs éclatantes. Au sein des tableaux de différents formats comme sur les hauts murs de la galerie, elle les a assemblées de façon que le regard puisse circuler d’une forme à l’autre, les mettre en mouvement.
Joie communicative de la ronde de Matisse, Thurnauer a invité la danseuse Marie-Agnès Gillot à les interpréter, à sa manière. Le temps du vernissage, le langage du corps de l’étoile a dialogué avec le langage des peintures de Thurnauer.
La danse est venue rencontrer le vocabulaire peint sur les « tablettes », nom donné aux tableaux que l’artiste a emprunté aux tablettes sumériennes : origines de l’écriture indéchiffrables pour notre temps. La danse est venue se confronter au lexique des « figures » appliquées sur les murs comme les écritures préhistoriques dont on ne sait plus non plus déchiffrer les signes.
Les Tablettes et les Figures composent l’espace de « Pariétales », nom au féminin pluriel qui titre l’exposition. Éparses sur les murs peints en blanc de la galerie, révélant le vide, leurs couleurs vivent. Dans l’espace plus large de l’art contemporain, où nombre d’œuvres s’énoncent clairement, leurs langages inarticulés laissent au spectateur la liberté d’inventer d’autres récits.
L’exposition est à voir jusqu’au 25 novembre.