Synthèse entre traditions artistiques extra-occidentales, culture yiddish et vie personnelle, l’œuvre singulière de Chana Orloff est présentée jusqu’au 31 mars 2024 dans une rétrospective à l’atelier-musée Zadkine. Chana Orloff. Sculpter l’époque invite à redécouvrir cette artiste emblématique de son vivant et depuis oubliée.
À son arrivée dans le quartier de Montparnasse, l’ukrainienne Chana Orloff parvient à s’imposer dans le milieu de la sculpture, un art alors essentiellement réservé au genre masculin tant on refusait de concevoir qu’une femme puisse avoir la force physique nécessaire pour le pratiquer. Loin de dissimuler sa féminité, la sculptrice s’applique justement dans plusieurs œuvres à renouveler l’iconographie traditionnelle du corps féminin. Plus de femmes lascives et passives, mais des véritables danseuses, athlètes ou amazones s’érigent avec noblesse, à une époque où les revendications en faveur de l’émancipation féminine gagnent en importance. C’est surtout la maternité que l’artiste illustre avec justesse dans des représentations allégoriques qui prennent souvent pour modèle son propre fils et son expérience de jeune veuve et mère.
Par les nombreux portraits de ses amis et connaissances parisiennes, Chana Orloff développe un style particulier qui lui vaut un franc succès. Exacerbant les traits caractéristiques de ses modèles, elle épure et schématise les formes et donne à ses œuvres un fini poli et lisse. Comme le titre de l’exposition le suggère, cette manière sensible de « sculpter l’époque » sous-tend les liens profonds entre l’évolution des œuvres et celle de leur contexte de production. Aux musiciens et danseurs heureux de la Belle Époque succèdent alors les figures heurtées et accidentées de la désillusion d’après-guerre. Chana Orloff fait aussi partie de ces artistes juifs parisiens contraints à l’exil sous l’Occupation, tout comme son contemporain Ossip Zadkine, autre sculpteur avant-gardiste et maître des lieux du musée. Leurs œuvres, indissociables de leur histoire, entrent alors particulièrement en résonance dans l’atelier reconstitué de ce dernier.