Certains objets de l’art (fenêtre, rideau, miroir) se confondent avec les sujets de l’art (cadrage, dévoilement, redoublement du réel). Ce sont ces objets particuliers de la représentation que nous nous proposons d’étudier à travers cette nouvelle rubrique « Les objets de l’art ». Nous sommes heureux de le faire à travers le regard de la toute jeune création en accueillant aujourd’hui un texte de Noah Henry Cabello à propos de son œuvre « _ En route vers l’aventure! ». D’origine espagnole, ce peintre âgé de vingt ans étudie actuellement à l’isdaT – institut supérieur des arts et du design de Toulouse. Merci à notre partenaire ATFU grâce à qui nous avons découvert son travail.
Au départ de cette peinture, il y a un moment de vie comme les autres. C’est ainsi que la plupart du temps les peintures m’apparaissent. D’un seul coup, la réalité prend une intensité plus grande. Je me trouve ému face à une situation ordinaire. J’ai l’impression que la peinture est déjà là, sous mes yeux. Je pense que ce qui m’a troublé dans l’instant que je représente dans « _ En route vers l’aventure! » c’est ce qu’il racontait silencieusement : la brillance de la vasque dans l’obscurité de la salle de bains de mon studio, les taches de dentifrice sur le miroir et moi dans tout cela, en train de jouer à la console en caleçon.
En commençant cette peinture, je pensais à une phrase de Bruce Bégout dans son livre A la découverte du quotidien qui parle de la « grisaille du quotidien ». La grisaille dans l’histoire de la peinture est aussi une technique ancienne qui consiste à peindre dans une première couche du tableau les éléments en nuances de gris pour se concentrer sur le travail des contrastes. Cela m’intéressait d’utiliser une technique de représentation classique pour aborder une image si contemporaine. Il me semble qu’une tension intéressante se joue à cet endroit. D’autre part, le gris donne la même importance à tous les éléments de l’image, il la rend silencieuse, mais en même temps il permet de révéler chaque texture. J’y vois une manière d’épuiser la vue d’un objet familier. En les regardant de si près, dans leur matérialité, sans leurs couleurs, ils finissent par n’être plus que des motifs abstraits. Je rentre alors dans un état méditatif durant lequel je récrée mentalement et picturalement l’état de ma mélancolie.
Cet approfondissement du regard ne s’est pas seulement fait par la couleur. La construction de l’image en amont de la peinture est aussi un aspect important pour penser ma peinture. Même si dans mes dernières recherches il m’arrive de peindre d’après nature, j’ai ici peint d’après photo ou plutôt, comme je le fais souvent, d’après plusieurs photographies assemblées de façon à rejouer la scène initiale. Le tableau est un carré de 80 cm, ce qui veut dire que les éléments qu’il présente sont à échelle 1. La main fait la taille de ma propre main. Je trouve ce jeu de représentation touchant, c’est comme une troisième dimension du réel. Nous, spectateurs, sommes dans la première de ces trois dimensions. L’angle de vue qui s’apparente à un « POV » nous implique directement dans la scène. La deuxième dimension serait « le réel » dans la peinture, ce qui est supposé être palpable. Elle occupe une petite partie en bas du tableau, saturée d’objets et de textures au point qu’on a du mal à se représenter correctement l’espace. Paradoxalement, c’est le miroir, un objet plan, qui nous permet d’y avoir accès. Le miroir est un autre espace dans la peinture, un autre tableau dans le tableau. On peut y mettre ce que l’on veut. C’est assez excitant de peindre un miroir, c’est comme recommencer une nouvelle peinture. Le miroir rejoue aussi le jeu du tableau qui crée de la profondeur sur une surface plane ; je pense que c’est en cela qu’il est aussi intéressant à peindre, c’est une sorte de mise en abîme.
En réalité, on pourrait même dire qu’il y a un quatrième espace dans cette peinture qui est l’écran de la console. Le titre du tableau « _ En route vers l’aventure! » est la phrase qui s’affichait dans la bulle de dialogue de la console. Elle est prononcée par Biff, un des personnages du jeu Animal Crossing, un jeu de simulation de vie.