Âgé d’une quarantaine d’années Richard Höglund est un artiste américain vivant et travaillant en France. Régulièrement exposées à New York, à Londres, à Bruxelles ou à Paris, ses peintures explorent ce que signifie l’activité de peindre. S’appuyant sur sa série Four Quartets réalisée en hommage à Josef Albers, il nous livre ici sa conception de l’hommage et inaugure ainsi notre série « hommages, pastiches et citations ».
Ma série Four Quartets est dense de références historiques. Elle repose tout autant sur des principes géométriques de l’Égypte ancienne que sur leur renouvellement moderne par l’architecte Le Corbusier. Elle bénéficie des recherches techniques de peintres majeurs de Rembrandt à Reinhardt. La référence la plus directe reste cependant Albers et son emblématique série « Homage to the Square ».
Avec cet ensemble Albers a exploré l’interaction des couleurs. Il évoque dans son livre éponyme la vision scotopique, ce qui soulève des questions sur la perception que j’ai essayé de poursuivre en créant des peintures dont l’apparence change en fonction des heures et des déplacements du spectateur. C’est la raison pour laquelle j’ai nommé ma série Four Quartets qui est le titre d’un recueil de quatre poèmes de T.S Eliot dans lequel l’un des motifs prédominants est le temps. Eliot aurait nommé sa suite d’après les derniers quatuors à cordes de Beethoven dont la cadence et la structure insolite auraient exercé une influence structurelle sur ses poèmes.
Albers, lui, avait nommé sa série « Homage to the Square ». Cet usage du terme « hommage » témoigne selon moi de l’honnêteté et de l’humilité de son engagement. Il rend compte de son dévouement à l’art et à l’apprentissage. Il y avait, dans mon envie de revisiter son schéma, une volonté de signaler mon projet comme un travail d’artiste-apprenti.
J’ai voulu que cette réflexion sur le travail d’Albers soit une copie directe de son schéma de base, un geste dont la pertinence s’amplifie en ce moment où l’intelligence artificielle prend son essor. Je me suis inévitablement posé la question de ce qu’est la copie, de ce qui différencie l’apprentissage de la programmation et de ce qui est profondément et inimitablement humain. Ayant ces problématiques en tête, j’ai créé des tableaux structuralement simples mais assez complexes en termes de préparation de couleurs.
Au-delà de la réflexion sur la perception liée à Albers et de celle sur la copie liée à notre époque, j’ai ajouté une part de mes réflexions plus anciennes sur la peinture. En inversant et en rehaussant le tableau dans son accrochage, je signifie, par exemple, ma conception transcendantale de la peinture.
Je pense qu’il y a deux sortes de situations. Il y en a une première où l’on se doit de travailler à travers et éventuellement au-delà des langages et des stratégies qui nous ont aidés à nous constituer en tant qu’artiste. Mais il y en a une seconde qui se présente lorsque les maîtres qui nous ont enseigné ces langages et stratégies nous semblent délaissés. Dans cette situation nous pouvons ouvrir un chemin vers le passé et entamer une conversation avec les acteurs d’autrefois.
Je pense que lorsque des écrivains, et ce depuis presque trois mille ans, se permettent de raviver Homère, leur stimulation est d’autant plus forte qu’elle est soutenue par le sentiment de se joindre à des ruminations éternellement renouvelées par notre espèce. L’aura d’un objet au musée peut avoir le même effet sur un spectateur. En tant qu’artiste cet effet pourrait être procuré par l’hommage, par l’engagement frontal avec le travail qui annonce son écho dans le puits du temps.