Entretien avec Zhu Hong #3

Entretien avec Zhu Hong #3
Nuage 1207, 2021, huile sur toile, 120 x 150 cm.
Personnalités  -   Artistes

Représentée par la Galerie 208, Zhu Hong est une artiste franco-chinoise vivant à Nantes. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique.

Orianne Castel : Je voulais, pour ce dernier entretien, aborder la part de votre pratique la plus abstraite, et je comptais, pour cela, vous interroger sur votre œuvre intitulée Nuage 1207 mais vous m’avez tout de suite dit que votre œuvre intitulée Nuage 1505, qui en apparence semble plus réaliste, vous semblait plus abstraite. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Zhu Hong : En fait, les nuages qui apparaissent sur le tableau Nuage 1505 ne sont pas de vrais nuages. Le titre est trompeur car il invite à penser que j’ai peint des nuages alors qu’en réalité la photo a été prise dans une station de lavage automobile. La couleur bleue est celle de la brosse et la couleur blanche celle de la mousse. L’aspect vaporeux, qui fait penser à la consistance d’un nuage, provient de l’observation de la mousse. L’image, comme l’ensemble des œuvres de la série des nuages, correspond à un instant d’une réalité mais elle a une visée plus abstraite puisqu’elle renvoie à l’idée de nuage alors qu’on ne voit jamais un nuage d’une telle façon. Si l’on regarde l’œuvre de près, on remarque beaucoup de taches – des coulures, des marques de peinture – qui renforcent l’aspect abstrait.

À l’inverse, Nuage 1207 représente un vrai nuage derrière une vitre même si la présence de cette vitre couverte d’eau rend son identification en tant que nuage moins certaine. Cette impression de pluie, liée à l’eau accumulée contre la vitre, est d’ailleurs aussi une illusion. J’étais au Musée d’Art de Nantes pour étudier les fiches historiques et préparer une exposition. Nous étions au sous-sol du musée et quelqu’un lavait une vitre à l’étage supérieur. À un moment, je l’ai vu jeter un grand seau d’eau sur la vitre. Il y avait un grand ciel bleu derrière et j’ai pris la photo à ce moment-là. Avec cette eau provenant d’un seau mais évoquant la pluie, j’introduis un trouble entre ce que l’on croit voir et ce que l’on voit mais il n’en reste pas moins que Nuage 1207 est le seul vrai nuage de la série. C’est une « exception » – qui, sans doute, rassure – car les autres Nuages ne sont en fait pas des nuages.

Dans les deux œuvres, il y a la superposition entre une surface – qui nous sépare de l’image – et l’image elle-même. Dans certaines de mes œuvres, on retrouve ces superpositions car elles permettent en quelque sorte de créer l’image de la peinture.

 

Nuage 1505, 2021, huile sur toile, 120 x 150 cm.

 

O.C : Vous parlez de « créer l’image de la peinture » mais il me semble que, dans cette série des nuages, la matière de la peinture est également très apparente. C’est comme s’il y avait un jeu entre la présence, au premier plan, de la peinture comme artifice avec l’affichage de sa matérialité et, au second plan, quelque chose de réaliste.

Z.H : Exactement. Plusieurs des images de cette série sont issues de photographies faites dans des stations de lavage automobile. La mousse, qui fait penser à un nuage, fragmente le paysage situé derrière elle mais, sur mes peintures, le processus est inversé. Ce qu’on voit devant, c’est-à-dire la mousse qui masque le paysage derrière elle, est peint en premier, et les fragments de paysages sont ajoutés dans un second temps. Lorsqu’on regarde, on a l’impression pourtant que la peinture de la mousse a recouvert un paysage qui avait été peint en premier car sa matérialité est plus forte.

 

Amance I, 2011, huile sur bois, 58 x 115,5 cm.

 

O.C : Vous travaillez beaucoup à partir de clichés, la photographie est elle-même un filtre, est-ce important pour vous ?

Z.H : Oui, il m’arrive même parfois de transformer les photos pour essayer de faire voir quelque chose d’autre. Pour un de mes tableaux nommé Amance I, j’ai utilisé la photographie d’un sapin que j’ai passée en négatif. Je l’ai ensuite modifiée jusqu’à ce qu’on ne sache plus vraiment ce qu’on voit. Le plus important est la manière dont on utilise la photo. Troublante ou non, l’œuvre doit nous guider vers autre chose. J’utilise la peinture pour aller au-delà d’une réalité fixée. De cette manière, l’œuvre nous amène à voyager, à aller ailleurs et à contempler. Dans Amance I, le résultat de ces manipulations est que l’image finale évoque une peinture chinoise. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai eu fini de la peindre. Même si j’ai reçu une éducation assez occidentale mes racines chinoises sont présentes et on peut les retrouver dans certains aspects de mes tableaux.

O.C : Qu’est-ce qui, précisément, vous a inspirée dans la peinture chinoise ?

Z.H : Je crois que la peinture chinoise a inspiré certains de mes formats. J’ai fait notamment des formats très en hauteur pour une série intitulée « Dans le musée ». J’ai utilisé ce format pour créer un aspect fragmenté mais il peut rappeler celui des rouleaux utilisés dans la peinture chinoise traditionnelle.

 

Amstel 1555, 2018, crayon de couleur, acrylique sur papier, 94 x 140,5 cm.

 

O.C : Amstel 1555 est une autre œuvre dont l’imagerie n’est pas loin de l’abstraction. Pouvez-vous la décrire et dire ce que vous cherchiez à faire avec cette œuvre ?

Z.H : Ce dessin fait partie d’une série intitulée Lumière Reflet dans laquelle les titres des œuvres sont tirés du nom de la rivière qui a été prise en photo. Ici, j’ai travaillé à partir d’une photographie du fleuve Amstel que j’ai prise à Amsterdam il y a quelques années. L’image d’origine était douce. L’eau n’était pas très tourmentée. J’ai essayé d’enregistrer son mouvement à travers le dessin. J’aime contempler l’eau. Le mouvement me permet de m’évader et je propose cette même expérience au spectateur. Mon art se fonde sur un partage de regards. L’œuvre est faite d’une multitude de petits traits. Il me semble que la façon dont le dessin se déploie en longueur est assez proche de la représentation qu’on se fait d’une surface d’eau.

O.C : Ainsi, vos photos ont été prises lors de voyages à différents endroits et vous les travaillez ensuite. Le filtre du temps vient s’ajouter aux autres ?

Z.H : Oui, je peins toujours dans un second temps. Je collectionne beaucoup d’images que je classe par thèmes dans mon ordinateur. Le hasard occupe une grande place dans ce processus. C’était le cas par exemple lorsque j’ai photographié cette personne jetant de l’eau sur une vitre pour la laver. Une chose pouvant en amener une autre, mon art consiste en une attention constante à tout ce qui pourrait m’intéresser pour de futurs projets.

Dans tous mes dessins, je mets en avant la matière. Dans Amstel 1555, il y a des taches d’eau qui sont physiquement présentes car j’ai utilisé des crayons de couleur aquarellables. Après avoir fini la première couche, j’ai volontairement « taché » mon dessin, ce qui a laissé une petite trace. Ainsi, l’eau est à la fois représentée dans le dessin et participe de façon contingente au résultat de l’œuvre. Par ailleurs, il y a des vraies taches d’eau mais également de fausses taches d’eau. Ces détails font partie des petits éléments qui troublent le regard et enrichissent la matière. Mes œuvres sont faites de plein de petits secrets.

O.C : Avec cette technique, vous instaurez encore une tension en vrai et faux. Quelle est votre relation à la peinture abstraite ? Est-ce une tradition qui vous intéresse, et si oui, quels sont les peintres que vous regardez ?

Z.H : Je regarde des choses très différentes. J’aime aller voir les expositions, c’est toujours enrichissant et intéressant. Je ne suis pas vraiment figée sur un artiste ou un style. Je n’arriverais d’ailleurs pas à situer mon propre travail dans un style ou un courant de l’art actuel. En quelque sorte, je suis « nulle part ». Récemment, j’ai visité l’exposition de Sam Szafran que j’ai beaucoup aimée. Je pense qu’on ne lui a pas donné la place qu’il méritait. Selon moi, lui aussi se situait « nulle part » car son travail était très différent des courants de son époque. Mon professeur aux Beaux-Arts de Dijon était Yan Pei-Ming qui m’a fait reprendre la voie de la peinture.

O.C : Nous arrivons au terme de nos trois entretiens. Vous exposez je crois régulièrement, où est-il possible de voir vos œuvres en ce moment ?

Z.H : J’ai participé à deux expositions collectives dernièrement : l’exposition « Winter Group Show » à la The Merchant House d’Amsterdam qui s’est terminée le 19 mars et l’exposition « Mixte » au Musée d’Art et d’Histoire de Cholet qui s’est finie le 2 avril. La galerie 208, qui représente mon travail, l’a également montré lors de la foire du BAD qui se tenait à Bordeaux durant le mois de mai. Cet été, certaines de mes œuvres sont visibles dans l’exposition collective « Perceptions » organisée à l’Artothèque d’Angers et d’autres à La maison de l’Erdre à Nantes dans le cadre d’une exposition personnelle intitulée « Un bref instant éblouissement ».

Les entretiens précédents sont à retrouver ICI et