Entretien avec Zhu Hong #2

Entretien avec Zhu Hong #2
Fontaine (Loire), 2021 (détail)
Personnalités  -   Artistes

Représentée par la Galerie 208, Zhu Hong est une artiste franco-chinoise vivant à Nantes. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique.

 

Orianne Castel : Vous travaillez beaucoup en série, pourquoi ? En quoi cette déclinaison autour d’un thème est-elle importante pour vous ?

Zhu Hong : Ce choix est lié au temps. Effectuer un seul tableau permet de s’inscrire dans un instant alors qu’effectuer plusieurs tableaux permet un voyage de l’esprit d’un tableau à un autre. Ils sont reliés mais en même temps ne sont pas les mêmes. Il y a une volonté plus forte de s’inscrire dans la durée plus que dans un instant avec la série.

O.C : Vous obligez-vous à garder un format pour un type de série ?

Z.H : Non, cela dépend plutôt de l’image et de ce que je projette dessus.

O.C : Concernant l’accrochage, montrez-vous les tableaux de chaque série ensemble ?

Z.H : Je l’ai fait pour certaines mais pas pour toutes. L’accrochage dépend surtout du lieu. Selon le lieu j’évalue ce que je peux montrer. Si, dans le cadre d’une exposition, je peux concevoir la scénographie, je peux gérer le parcours, la lumière et le nombre de pièces mais ce n’est pas toujours le cas. En revanche, j’ai un ensemble de 199 petits dessins qui ne peuvent pas être montrés séparément (La Photographie dans l’art Contemporain).

 

La photographie dans l’art contemporain, 2009, crayon sur papier noir, dimensions variables, (199 pièces).

 

O.C : Vous parlez de ces petits dessins, de manière générale vos œuvres ne sont pas immenses. Elles restent à taille humaine. Pourquoi ce choix de format ?

Z.H : J’ai commencé par des petits formats. Je voulais créer des situations intimes en opposition avec le spectaculaire et l’image qui se donne tout de suite. Je voulais que le public produise un effort pour aller chercher l’image. Pour ce qui est de mes formats aujourd’hui (le plus grand est à peu près de 160 cm de long), la raison est simple : mon atelier n’est pas gigantesque. L’aspect pratique et pragmatique compte dans la production. Avant d’avoir cet atelier, je faisais des œuvres encore plus petites. On crée selon les conditions auxquelles on est contraint mais la création continue. Le format n’est pas non plus un obstacle. La petite pièce dont je parlais tout à l’heure, celle intitulée « La Photographie dans l’art Contemporain », tient dans un petit classeur. Toutefois, quand je sors et accroche les 199 images, elle occupe une pièce entière. C’est important d’avoir des pièces comme celle-ci pour ne pas être contraint par la dimension. On trouve toujours des solutions et elles peuvent être aussi intéressantes qu’une toile de grand format. S’il y a quelque chose de grand à faire, je peux le faire directement sur un mur. Je l’ai déjà fait pour des peintures et dessins. Bien sûr c’est éphémère mais ça résout la contrainte du stockage également.

 

Un matin d’été, Arles, 40 x 54 cm.

 

O.C : Dans la série « Éclats », vous avez choisi de créer des formats très particuliers, comme des fragments prélevés dans le réel. Pourquoi ?

Z.H : En effet, avec les formats de cette série, je voulais créer des fragments. J’ai réalisé la série « Éclats » au début du printemps dernier dans le cadre d’une résidence au musée Magnelli à Vallauris Golfe-Juan. Je me suis inspirée des formes géométriques d’Alberto Magnelli particulièrement présentes dans ses gravures. J’ai extrait certaines formes de ses œuvres pour créer les formes de mes supports.

O.C : Était-ce une façon de rendre hommage à son travail ?

Z.H : Produire un travail en relation avec ses œuvres était une demande de la résidence à laquelle je participais. C’est un peintre de la même époque que Picasso, assez connu à son époque mais qui a été un peu oublié de nos jours. Personnellement, je l’ai découvert au moment de la résidence et je me suis rendu compte que certains aspects de son art coïncidaient avec mon idée de fragments de lumière. L’idée n’était pas de copier sa manière de peindre mais plutôt de l’utiliser d’une manière différente.

O.C : Quand vous ne créez pas de formats atypiques ; vos tableaux rectangulaires sont souvent orientés à l’horizontale. Ce format a-t-il un lien avec les sujets de vos œuvres qui souvent évoquent des paysages ?

Z.H : Je ne sais pas. Le paysage correspond toujours à une idée de paysage. Qu’est-ce qu’un paysage en fait ? Le paysage chinois renvoie aux montagnes, aux nuages, à l’eau, etc. Alors que le paysage occidental renvoie à une ligne d’horizon, au ciel, aux différents plans. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Il est vrai que j’utilise beaucoup le format horizontal, ce qui donne peut-être l’impression de voir quelque chose de plus large. Toutefois, pour représenter des gouttes d’eau, j’ai utilisé le format vertical car il reprend la forme d’une fenêtre. Souvent, les formats sont liés à une image que je veux montrer mais en fait, tout peut être un paysage.

O.C : Vous travaillez d’après photographie n’est-ce pas ?

Z.H : Je prends énormément de clichés que je sélectionne. Ensuite, je peins ou je dessine. Les notions d’instant et de hasard sont importantes. J’essaie de trouver ce qui me convient ou me parle le plus.

O.C : Vous arrive-t-il de recadrer ?

Z.H : Pas toujours mais ça m’arrive. J’utilise Photoshop pour recadrer mais aussi pour changer la couleur, l’inclination, etc. Il m’est aussi arrivé de peindre la photographie à l’envers. Souvent, lorsque je change de sens, je cherche à me troubler moi-même ou à troubler le public. Certaines photographies sont aussi troublantes dans les deux sens. Le sens n’est pas plus important que l’effet qu’il va produire par la suite.

 

Fontaine (Loire), 2021, Crayon de couleur, aquarelle et acrylique sur papier, marouflé sur bois, miroir, 100 x 200 cm.

 

O.C : J’ai vu qu’une fois vous aviez présenté votre image comme dans une fontaine, à plat. Le spectateur voyait l’œuvre de haut comme dans la situation réelle.

Z.H : Oui, cette œuvre était une installation in situ au musée d’Art de Nantes. L’évocation de la fontaine était un clin d’œil fait à l’histoire du musée car au moment de travaux des sources d’eau ont été découvertes sous le bâtiment. J’ai étudié l’histoire du musée à partir de vieux plans et j’en ai trouvé un sur lequel un architecte avait dessiné les esquisses d’une fontaine. À partir de ce plan, j’ai fait cette proposition de fontaine flottante qui liait mon intérêt pour l’eau et l’histoire du musée. C’est un projet fait pour le lieu. Les dessins sont posés à l’horizontale pour suggérer une sorte de flaque d’eau ou une fontaine. Dans l’espace, on retrouve une sensation de flottement de l’eau et de légèreté, qui, en même temps, est irréelle.

O.C : Les couleurs sont douces et la composition présente, comme c’est le cas dans la plupart de vos œuvres, peu de contrastes. Quel type d’expérience cherchez-vous à transmettre à celui qui regarde ?

Z.H : Par rapport à la photographie dont je m’inspire, je réduis le contraste entre les couleurs. Je réduis aussi le nombre de couleurs pour créer une distance par rapport au réel capté par la photographie. Ce choix est très personnel : il est lié à mon arrivée en France. Lors de mon installation ici, je n’avais que des images du passé pour construire quelque chose de nouveau. Je sentais une distance par rapport à ce passé. Dès que l’image est prise, l’instant est passé et tombe dans le registre du souvenir. La peinture n’est jamais une vraie réalité, elle expose la distance entre l’image et notre réalité – elle affiche ce décalage.

O.C : Vous peigniez des choses que vous aviez prises en photo en Chine lors de votre arrivée en France ? Il y a donc un rapport très profond au souvenir dans la naissance de votre pratique.

Z.H : En effet. Il y a un rapport à la mémoire, au temps et au présent.

 

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