Entretien avec Shan Weijun #1

Entretien avec Shan Weijun #1
Shan Weijun, Sonate 1. Encre de chine et pigment minéral sur papier de riz, 250 x 80 cm, (c) Galerie 208
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Représenté par la Galerie 208, Shan Weijun est un artiste d’origine chinoise vivant à Paris. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique. 

Orianne Castel : Vous travaillez en tant qu’artiste à une époque où l’art s’est ouvert à de nombreux médiums (vidéo, installation, performance). Vous avez choisi d’être peintre. Pourquoi ce choix ? Qu’est-ce que représente pour vous la peinture ?

Shan Weijun : Il y a plusieurs types de médiums dans l’art contemporain mais la peinture me correspond. Elle répond à ma situation, mes sentiments, à mes envies d’expression. Ça ne veut pas dire que les autres médiums ne sont pas bons ou moins bien mais simplement qu’ils ne me conviennent pas. Je préfère peindre et je le fais avec mon style, mon corps, ma pensée. Je regarde le ciel étoilé, je m’inspire des géants culturels historiques et je pose des couleurs. J’essaie de faire au mieux pour avancer recherchant la vérité de la nature dans mon travail. C’est ma méthode pour atteindre le but que je me suis fixé dans le domaine artistique. Je fais des efforts pour faire ressentir la dimension spirituelle de la nature.

O.C : Est-ce que le fait de vous limiter à un médium vous permet d’avancer plus vite dans cette recherche ?

S.W : Je ne me limite pas à la peinture uniquement pour aller vite, c’est plutôt que cette forme me convient et il y a déjà beaucoup de choses à travailler en peinture. Je regarde les autres médiums mais ils renforcent mon intérêt pour la peinture car je les regarde avec ma propre vision.

O.C : À première vue, votre thème semble être celui du paysage mais je n’en suis pas si sûre. Il y a une œuvre de vous que j’ai vue et qui m’a beaucoup interrogée. C’est l’œuvre Sonate 1 qui montre un paysage d’arbres mais son titre laisse penser que l’origine de cette œuvre provient de la musique. Est-ce que pour vous le paysage est le support d’une activité intellectuelle et spirituelle qui peut provenir de toutes les sphères de l’existence et pas seulement du paysage ?

S.W : Je dois dire que si je peins des paysages c’est aussi en raison de la situation actuelle. L’été a été extrêmement chaud cette année et cette période de chaleur a duré plus longtemps qu’avant. C’est à partir de ce constat que ma réflexion s’est tournée sur la survie de l’homme en tant qu’individu, la survie des hommes en tant que communauté, et sur le sens même de la survie. Nous vivons dans la nature et elle vit en nous. Nous devrions être plus attentifs à cette symbiose. Pour ce qui est du titre « Sonate », donné à cette série, c’est assez simple. J’écoute chaque jour de la musique classique après le travail. J’aime particulièrement Bach. J’admire sa recherche de changements infinis dans la simplicité. Il y a des rythmes différents, des variations subtiles qui correspondent à ce que je cherche à faire avec mes peintures.

 

Shan Weijun, Sérénité.
Encre de chine et pigment minéral sur papier de riz, 80 x 82 cm, (c) Galerie 208

 

O.C :  Ce lien à la musique suggère une part d’émotion. Ne pourrait-on pas dire que vous êtes un expressionniste en peinture ?

S.W : Je ne crois pas. Les expressionnistes sont trop extravertis, leur expression est trop virulente pour que je puisse m’y rattacher. Leurs couleurs sont trop vives, leurs peintures trop grandes, leurs gestes trop vifs. Ma peinture est différente. Techniquement, je crée de la profondeur en apposant plusieurs couches de pigments et mes couleurs sont plus sombres. Il y a de nombreuses traces liées à l’encre, au lavage ou à l’effacement. Il y a plusieurs couches de points superposées. Ces traces et ces superpositions forment un tout, reflétant un degré d’intensité, de profondeur, d’espace, de temps dans un champ naturel et poétique. De ce fait ma peinture est beaucoup plus calme. J’ai trouvé mon style et il est différent de celui des peintres expressionnistes américains.

O.C : Je discutais le mois dernier avec la peintre Li Chevalier qui me parlait d’une « pudeur proprement orientale » à propos de sa pratique, ne pensez-vous pas que le calme de votre travail provient d’une différence culturelle entre les Américains et les Chinois, qu’il y a peut-être une sorte de retenue chinoise qui n’exclut pas le registre de l’expression ?

S.W : Oui, c’est probablement une question de culture, de tradition picturale aussi. Les peintres de la dynastie Song, notamment au XIIIe siècle, privilégient les traits, employaient des couleurs très douces avec des variations subtiles, et leurs peintures étaient très paisibles.

O.C : Vous êtes sensible à cet héritage chinois. Côté occidental, est-ce que vous vous situeriez dans l’héritage du romantisme européen ? Est-ce que vous avez été inspiré par des artistes comme Caspar Friedrich ou William Turner qui eux aussi ont pensé le lien entre la nature et l’homme ? Est-ce que cette peinture vous semble plus proche que l’art américain ?

S.W : Pour les peintres français, je m’intéresse plutôt à Cézanne. Selon moi, il observe la nature sous un autre angle, il la laisse parler. En cela, il m’a beaucoup inspiré. Je m’intéresse aussi à Giacometti qui a beaucoup changé l’histoire. Il a trouvé dans la nature d’autres choses, un certain espace, une composition. J’ai notamment découvert chez lui une vérité profonde de l’existence, j’ai trouvé l’ombre. Giacometti cherche les ombres des passants. J’aime aussi énormément les œuvres de Morandi, la quiétude qui s’en dégage. Mais bien sûr, je me suis aussi intéressé à Turner pour ce thème de la nature mais surtout pour sa façon très singulière de le traiter, son sens très particulier de la lumière qui m’interroge.