Alors qu’à l’image de La Colline Parfumée, du mauritanien Abderrahmane Sissako, plusieurs tournages internationaux se sont récemment déroulés en Côte d’Ivoire, de nouveaux venus transforment en profondeur l’industrie cinématographique du pays.
« On a de la matière pour aller jusqu’à quinze saisons ». Goguenard, le réalisateur et producteur Franck Vlehi part d’un grand éclat de rire quand il évoque, au micro de RFI, l’avenir des Coups de la Vie, une jeune série ivoirienne dans le plus pur style telenovela. Une nouvelle fiction pour l’heure intégralement financée par A+, une filiale du groupe français Canal+, mais que le réalisateur espère un jour voir soutenue par l’Etat ivoirien – un message reçu cinq sur cinq par la ministre de la Culture de Côte d’Ivoire, Françoise Remarck, qui passait opportunément une tête sur le plateau de tournage abidjanais au moment de l’interview, afin de rencontrer les professionnels d’un secteur en plein boom.
Si elle demeure loin derrière « Nollywood », la tentaculaire et légendaire industrie cinématographique du Nigéria voisin, la scène ivoirienne émerge néanmoins à grands pas, portée par le développement de financements locaux. Particulièrement dynamique, le marché local et régional ouvre, en effet, d’intéressantes opportunités pour des films et séries qui se jouent allègrement des carcans internationaux – et ce pour leur privilégier des logiques et cadres 100% africains, soutenus par des communautés locales. Vertueuse, cette dynamique fait également prospérer tout un écosystème, qui multiplie les tournages locaux et dont l’expertise se renforce grâce à son attractivité.
La Côte d’Ivoire, futur « Nollywood » en Afrique de l’Ouest ?
En témoigne par exemple le tournage, à l’automne dernier, de La Colline Parfumée, le nouveau film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, lauréat en 2002 du Prix de la critique internationale lors du Festival de Cannes. De plus en plus reconnus, les réalisateurs ivoiriens ne sont pas en reste, leur aura s’étendant désormais bien au-delà des seules frontières de la Côte d’Ivoire pour rayonner sur toute l’Afrique de l’Ouest. Désireux d’accompagner cette dynamique, l’Etat ivoirien soutient la création locale de multiples façons, y compris symboliques. Ainsi lorsqu’il finance, sur « l’allée des cinéastes » de Ouagadougou, la construction d’une statue à l’effigie de Roger Gnoan M’Bala, récipiendaire, en 1993, du Yennenga d’or – le grand prix du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) – pour son long métrage Au nom du Christ.
Les réalisateurs ivoiriens bénéficient également d’une plus grande facilité d’accès aux financements, l’argent demeurant, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, le nerf de la guerre en matière de création artistique. En plus des fonds gouvernementaux et des coproductions internationales, les cinéastes africains peuvent désormais compter sur l’appui des plateformes de streaming qui, à l’image de Netflix ou d’Amazon, sont de plus en plus nombreuses à miser sur le cinéma de l’Afrique francophone. Une diversité qui rime avec opportunité, pour le producteur sénégalais Souleymane Kébé, selon qui « les sources de financement sont plus diversifiées et plus accessibles qu’avant » : « ça permet de créer une concurrence parce qu’il n’y avait pas vraiment d’opportunités pour les producteurs, car les choix étaient limités (…) avec les chaînes de télévision en raison de leurs contraintes budgétaires », estime l’homme de cinéma.
Les partenariats public-privé, clés de voute de l’industrie cinématographique ivoirienne
Enfin, cet afflux de financements contribue à renforcer le tissu industriel local et à nourrir une véritable communauté professionnelle made in Côte d’Ivoire. A ce titre, les autorités et l’industrie locales ont su tirer profit de l’arrivée d’acteurs majeurs, comme Canal+ Afrique, qui a annoncé sa volonté de multiplier les productions originaires du continent. Ou d’Orange Côte d’Ivoire qui, via son service « la TV d’Orange », diffuse des productions ivoiriennes comme Isabelle, disponible depuis le 11 février. « La création de la série Isabelle s’inscrit dans l’objectif de mettre à la disposition des populations ivoiriennes, longtemps biberonnées aux histoires venus d’ailleurs, des productions ambitieuses de qualité internationale avec un fort ancrage local », explique le producteur Fabrice Sawegnon.
Selon lui, la série de 44 épisodes « se veut une preuve, presque un postulat, que les producteurs audiovisuels ivoiriens ont les capacités de créer du contenu pertinent, palpitant et captivant adapté au petit écran ». De fait, après avoir longtemps brillé par leur manque d’ambition sur le continent africain, les grandes majors du cinéma se sont, depuis peu, lancées dans une véritable course à l’audimat local – ainsi de Sakho & Mangane, une série sénégalaise produite par Netflix et diffusée à l’international, ou encore de Manjak, une série produite par Canal+ et disponible en France. Autant de pépites annonciatrices, en Afrique de l’Ouest, d’un nouvel eldorado du cinéma ?