Rémy Hysbergue est un artiste français représenté par la galerie Richard. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique.
Orianne Castel : Vos formats sont à échelle humaine. Feriez-vous des tableaux plus grands si vous aviez plus de place dans votre atelier ? Quel type de rapport souhaitez-vous instaurer entre le spectateur et votre œuvre ?
Rémy Hysbergue : Si j’avais un atelier plus grand, je ferai quelques peintures un peu plus grandes parce que je me méfie de l’habitude mais je continuerai à faire des petits tableaux pour une histoire de concentration. En ce moment, je redémarre sur de nouvelles choses donc je fais plutôt des petits formats. Je prépare aussi des moyens formats, et puis j’en aurai quatre, cinq plus grands, après. Ce sont des histoires de rythme. Ça ne permet pas le même type de concentration sur le travail. Je ne fais pas le même travail en grand, petit et moyen ; le regardeur n’est pas le même ça c’est sûr. Je travaille souvent beaucoup plus sur mes petits formats que sur mes grands formats mais c’est un choix vraiment personnel. Est-ce qu’il n’y a pas là-dedans un rapport aux anciens ? Un Tiepolo, même en petit, ça reste un Tiepolo. On peut bluffer les gens avec des grands formats, mais ce n’est pas forcément plus dur surtout avec mon type de peinture, pseudo-gestuel, ça va relativement vite. J’essaie d’alterner. Je me méfie des habitudes. Je me méfie aussi du rapport de ce qu’on met par rapport au format. On a tendance à faire la taille qui correspond au format. Il y a une espèce de régulation. On peut prendre de mauvaises habitudes. Je m’amuse à sauter de format : ça me permet de faire des trucs trop grands, décalés. Il n’y a pas dix mille compositions possibles et il y a des choses dont on sait que ça va fonctionner si on les fait de telle manière. J’aimerais bien un jour voir une exposition des dessins de Franz Kline. Je comprends qu’il en soit venu à des grands formats, comme Pierre Soulages, parce qu’on cale la composition beaucoup plus vite. La faire en petit, c’est plus casse-gueule me semble-t-il. Par ailleurs, on travaille autant pour faire un petit format qu’un grand sauf que le grand se vend plus cher. Et si vous regardez les peintres qui vivent de leur travail, la plupart font des grands formats. Aux États-Unis, les formats de la taille d’un mur sont des moyens formats. Les Américains qui achètent des œuvres veulent des formats de quatre ou cinq mètres car ils ont des apparts de cinq cent mètres carrés et veulent des toiles immenses. Le Louvre est plein de tartines de cinq mètre sur six qui ne sont pas mal peints mais qui sont juste inintéressants. Est-ce que ce sont vraiment ces toiles-là qu’on regarde, je ne crois pas. Je ne pense pas que si Edouard Manet avait fait un éléphant au lieu de faire une asperge ça aurait été plus important ; de même pour Kasimir Malevitch: si ses œuvres avaient été plus grandes, auraient-elles été plus importantes ?
O.C. : Par rapport à cette question du geste, vos gestes sont bien visibles dans vos peintures. Vos tableaux témoignent de l’emploi de plusieurs outils pour lesquels le rapport à la main est d’ailleurs plus ou moins distant. Vous utilisez le pinceau bien sûr mais aussi des bombes aérosol. Si vous n’êtes pas présent en tant qu’individu porteur d’une émotion particulière à un moment t, pourrait-on dire que vous êtes présent en tant que peintre, peut-être même en tant que représentant des gestes d’un peintre ?
R.H. : On me l’a toujours dit depuis que je peins mais non, peu de personnes trouvent une touche propre. Pour moi, une manière de mettre de la peinture, c’est aussi de l’étaler. Le problème est que le pinceau a été utilisé par tellement de gens que des fois je m’en détache. Donc en ce moment, je travaille avec différentes spatules et j’essaie de poser la peinture comme un nappage. Ça me permet d’avoir des champs colorés : est-ce que dès lors on est dans du Susan Frecon, dans du Helene Frankenthaler, je ne crois pas, mais ça me permet d’avoir des espèces d’effets lumineux. Il y a un enfant qui m’a dit “on dirait des effets de miroir” et j’ai trouvé ça assez juste, d’autant plus que je ne sais pas ce que le miroir reflète donc ça m’intéresse bien. Au pire, il y aurait ça, une possible image, un peu comme les photographies d’André Kertész avec les femmes. C’est une technique pour ne pas mettre directement quelque chose. C’est le problème de comment commencer ; si je le mets directement, j’impose une image et je ne veux pas faire ça. C’est justement à l’inverse de ce qui s’est fait dans les années soixante-dix, d’un joli geste imité de la calligraphie orientale. J’essaie de trouver une manière d’amener de la peinture et après j’essaie de la comprendre, de la renforcer là où elle manque de force et de travailler la lumière de cette peinture. C’est vrai que, normalement, on essaie de travailler la lumière avec la peinture. J’essaie de travailler d’une autre manière. Il se trouve que ça produit une espèce de lyrisme à l’aspect coulant qui peut ressembler à la peinture des années soixante-dix mais aussi à des aurores boréales.
O.C. : Mais quand-même, vous parlez de peindre la peinture. Est-ce que ce ne serait pas une sorte de définition de la peinture par une succession de gestes différents, comme chez BMPT ?
R.H. : À partir du moment où on s’inscrit dans une ambition de comprendre quand est-ce qu’il y a peinture et quand est-ce qu’il n’y a pas, on peut être amenés à reprendre des gestes que d’autres ont faits pour voir si ça marche. J’ai beaucoup regardé la peinture d’Hans Hartung. Je ne vais pas faire du sous-Hartung, ça n’aurait aucun intérêt, mais c’est étrange que sa peinture tienne car il y a vraiment peu de choses. Il y a seulement trois nappages et pourtant il y a quelque chose. Ça tient mais il a quarante ans de carrière derrière lui. Je ne cherche pas à avoir ma touche, donc je peux piquer un peu partout. Et puis on est tous limités par nos propres références, donc on n’y voit que la référence qu’on connaît. BMPT a été important pour moi, pour comprendre justement ce que pouvait être la peinture. Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni m’ont permis de me rappeler que la peinture est une pensée. Ils l’ont pensé assez justement. Je préfère Wladyslaw Strzeminski (le créateur de l’unisme polonais) à BMPT parce que je trouve son travail beaucoup plus avant-gardiste et beaucoup plus osé, mais ce sont des gens importants. C’était une époque à la fois stratégique et politique mais c’était sérieux ; il ne s’agissait pas seulement de faire des coups médiatiques. Ils connaissaient très bien la peinture tous les quatre, donc leur travail tenait la route. Après, à l’exception d’Olivier Mosset peut-être, ils ont décidé de poursuivre leur système. Frank Stella m’intéresse plus, justement parce que, tous les cinq, dix ans, il change de truc. Même s’il a trouvé un truc énorme, et même si c’est déjà très difficile de trouver un truc dont tout le monde dit « ça c’est un Stella », il change. Il a l’audace de changer, et d’en trouver d’autres en plus ! Tout à l’heure, je vous parlais de Martin Kippenberger. C’est pour cette raison aussi. Il y a une espèce de liberté qui est forte. Je regarde également beaucoup les photographes. Il y a des photographes contemporains qui ont une réflexion sur cette image qu’ils maîtrisent ou qu’ils ne maîtrisent pas mais qu’ils travaillent, que je regarde avec intérêt. Je regarde aussi les photographes amateurs, car, dans ce cas-là, ce n’est pas tant le sujet qui est intéressant que l’espace qui n’est pas travaillé mais qui est proposé. Une photo loupée, un espace pris par hasard, peut être intéressant aussi par rapport à la façon dont ça interroge sur ce que c’est qu’un bord d’image. En peinture, on s’est peu posé cette question du bord de l’image, du bord de la peinture. Certains l’ont fait, d’autres ne le font pas. Il y a longtemps, l’ancien galeriste Philippe Nelson, dont j’aimais beaucoup le regard, m’avait dit que mes peintures lui donnaient l’impression d’être des détails de peinture. J’ai mis longtemps à comprendre ce qu’il voulait dire mais c’est un terrain qui m’amuse bien. Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure. Quelquefois on fait les peintures que l’on doit faire. C’est très efficace, mais c’est très bête parfois. Qu’est-ce qui se passe quand la composition est juste un peu décalée, comme dans certains tableaux de František Kupka par exemple ? Un autre espace se crée, on n’est plus dans « un face à un », on est souvent de trois quarts, on est obligé de tourner comme pour s’insérer dans une danse qui aurait déjà commencé. Ça, ça m’intéresse pas mal. On est devenus un peu idiot avec la planéité et la frontalité. Si vous regardez des catalogues de peinture ou que vous vous rendez dans une foire, vous verrez qu’il y a plein de gens qui peignent plat. C’est pourtant plus compliqué que ça l’espace me semble-t-il… on n’est pas dans un pac-man. On se dispense de travailler ces zones-là, alors qu’elles existent quotidiennement. Ce ne sont pas des zones à inventer. Je crois qu’il y a des choses à faire là-dedans, et ça, ça m’amuse.
O.C. : Pour conclure, pouvez-vous me parler des titres de vos œuvres, lesquels éclairent aussi ceux donnés à nos entretiens?
R.H. : Mes œuvres fonctionnent par série. Au début, j’avais coutume de ne pas mettre de titre mais je me suis rendu compte que certaines personnes en avaient besoin. C’était une paresse de ne pas en mettre. Alors j’ai pris l’habitude de le faire en jouant avec l’ambiguïté des titres pour d’une part rendre la démarche plus légère et d’autre part permettre différentes voies. J’ai par exemple une série qui s’intitule “Surtout vu d’en bas” ou une autre qui s’appelle “À découvert”. Je m’amuse avec les mots. Quand on peint, on couvre une surface mais il y a aussi l’idée d’une découverte de l’œil. Ce n’est pas plus revendicatif que ça. Pour les expositions aussi, j’essaie toujours de trouver des titres frais et légers, et qui peuvent amener à plusieurs interprétations. Sur ce point, je rejoins François Morellet qui trouvait toujours des titres assez rigolos à ses peintures.