Hugo Pernet est un peintre français dont le travail est représenté par la galerie Philippe Valentin. Behrang Pourhosseini l’interroge sur l’exposition Poisson rouge visible jusqu’au 4 mars 2023 dans l’espace de la galerie.
Behrang Pourhosseini : Vous présentez une quinzaine de toiles mais à l’exception de deux ou trois tableaux où le regard est engagé à suivre les lignes et leurs interactions avec les surfaces vos œuvres sollicitent peu le regard du spectateur, pourquoi ce choix ?
Hugo Pernet : Ça dépend de ce qu’on appelle solliciter le spectateur. Je fais de la peinture, donc j’ai choisi délibérément un art qui laisse le spectateur libre. Je ne crois pas que seul le regard soit sollicité dans une exposition. Les couleurs, les proportions des œuvres et leur accrochage mettent en mouvement le corps et l’esprit. C’est une expérience immersive et instinctive. En tant que spectateur, je déteste être infantilisé par une œuvre qui réclame ma participation ou qui m’emprisonne dans une durée.
B.P : Il m’avait semblé qu’il y avait quelque chose de l’ordre d’un mutisme assumé. Je pense notamment à l’œuvre Camila qui présente une femme vue de dos. C’est un format portrait mais cette personne nous tourne ostensiblement le dos. Depuis plusieurs années votre travail traite de la question des images, est-ce que ce mutisme du tableau traduit pour vous l’impuissance de la peinture à agir dans un monde croulant sous les images ?
H.P : Camila est un portrait qui n’a rien de prémédité. Je l’ai fait de mémoire et je pense qu’il est réussi car toutes les personnes qui connaissent le modèle m’ont confirmé qu’elles le reconnaissaient immédiatement. Le but est donc atteint, mais avec des moyens contraires aux moyens classiques du portrait. C’est une œuvre importante pour moi sur le plan personnel, et je pense au contraire qu’il traduit le pouvoir de la peinture dans la vie réelle.
B.P : Vous prenez pour sujet tout autant une personne réelle comme celle présentée dans Camila qu’une lettre de l’alphabet comme dans la toile a. Considérez-vous que le sujet de départ importe peu par rapport à l’acte même de peindre ?
H.P : Il n’y a pas de sujet de départ. Parce que je ne sais pas ce que je veux faire quand je commence un tableau. Le « a » minuscule vient à la fin comme un sujet remplaçant, vous savez, la première lettre de l’alphabet. C’est le contraire d’un long discours.
B.P : Vous peignez aussi à partir de tableaux d’autres artistes. Je pense aux tableaux From memory 1 et From memory 2 dont les titres semblent indiquer que vous les avez faits de mémoire mais dont la facture (composition simplifiée, colorimétrie réduite, contrastes augmentés, aplanissement) évoque des versions « photoshopées » de toiles de Matisse. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces tableaux ?
H.P : Ce sont des Matisse faits de mémoire, ou de mémoire de poisson rouge si on veut. J’ai réalisé des petits dessins numériques sur mon téléphone portable juste avant, pour voir s’il y avait assez d’éléments pour évoquer Matisse tout en proposant des tableaux qui relèvent de l’image mentale. Matisse est le peintre préféré de ma mère, et pendant longtemps je n’y ai rien compris. Aujourd’hui c’est un de mes peintres préférés.
B.P : Matisse n’est pas le seul artiste convoqué dans vos peintures, elles semblent emprunter des motifs reconnaissables à Mondrian, Malevitch, Kandinsky, Gerhard Richter, etc. Comment vous rapportez-vous à l’histoire de la peinture, à la citation et au postmodernisme ? Quel statut donnez-vous à ces références ?
H.P : Ce point est très ambivalent chez moi. L’histoire de l’art me passionne non pas comme une discipline universitaire, mais comme la trace vivante de personnes qui ont cherché à dialoguer à travers le temps avec d’autres êtres humains. Mais pour être soi-même un artiste, on ne peut pas se contenter de vivre dans et par les œuvres du passé, il faut continuer le travail et faire quelque chose d’inspirant pour les autres. Je n’aime pas le postmodernisme parce qu’il fait mine de se placer au-delà de l’histoire, ce qui est une pure vue de l’esprit. L’histoire est un objet d’étude mais les œuvres existent, elles font quelque chose.
B.P : Vous semblez être plus dans la référence (au sens de l’inclusion et l’interprétation d’une pratique dans et par la sienne, avec aussi la part d’hommage que ça peut comporter) que dans la citation (au sens de clin d’œil à l’histoire de l’art). Diriez-vous que vous êtes dans un rapport moins conceptuel avec les œuvres que vous citez qu’à vos débuts en tant qu’artiste ?
H.P : Je suis dans un rapport moins référentiel avec les œuvres. L’appropriation n’est plus une approche qui me convient, à cause de son ambiguïté. Il y a une violence qui me gêne, une double volonté de s’approprier la valeur de l’œuvre citée tout en la détruisant.
B.P : Vous ne semblez pas non plus être dans un rapport intime, au sens où l’interprétation que vous faites des artistes que vous citez, à cause peut-être de ce filtre Photoshop dont je parlais au début, pourrait être celle de tous. Quelle place laissez-vous à l’émotion en peinture ?
H.P : Toute la place. Mais c’est la chose la plus difficile. Mon émotion ne regarde personne, mais je sais qu’elle permet parfois de faire passer quelque chose dans la forme. Ce qui me plaît c’est de libérer une peinture. Quand j’arrive au bout d’un tableau c’est qu’il n’a plus besoin de moi. Une exposition est l’occasion de partager ce moment de l’autonomie. J’espère que les œuvres seront aimées pour ce qu’elles sont, et non pour ce qu’elles disent ou représentent.
B.P : Vos œuvres comportent néanmoins des titres. Certains donnent des clefs de lecture (From memory), d’autres apportent peu d’information (Camila). Quel statut donnez-vous aux titres, faites-vous partie des peintres pour qui les titres servent surtout à archiver les tableaux ?
Les titres sont les prénoms des tableaux. C’est à la fois trop et pas assez. Parfois ils donnent une clé de lecture. Parfois ils provoquent la pensée.
B.P : Et enfin, pourquoi ce titre d’exposition Poisson rouge ?
Dans l’imaginaire collectif, le poisson rouge a une mémoire de quelques minutes. Il tourne dans son bocal et oublie sa condition. C’est le paradoxe de devoir tout savoir pour tout oublier. Par exemple savoir que Matisse a existé mais faire comme si ça n’était pas le cas. Poisson rouge, c’est une forme et une couleur, ça me suffit pour avoir envie de continuer à vivre.
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