Rémy Hysbergue est un artiste français représenté par la galerie Richard. Durant trois entretiens, Orianne Castel l’interroge sur sa pratique.
Orianne Castel : Comment avez-vous eu l’idée de peindre sur velours ?
Rémy Hysbergue : J’ai fait de la peinture sur bois, sur komacel qui est une mousse de PVC rigide. Je voulais avoir une définition de peinture très précise. J’ai aussi peint sur toile rétroréfléchissante et sur des miroirs. J’ai fait très peu de peintures sur toile mais j’ai travaillé un temps sur de la toile très lisse, la même que celle qu’utilisaient François Morellet et Bernard Frize à un moment. J’ai également peint sur de la soie, du satin, ainsi que sur du velours. J’ai toujours trouvé qu’un velours était magnifique, alors je me suis dit « si c’est beau, allons-y ». Il y a des personnes qui sont réfractaires au velours mais c’est beau comme une toile d’Ettore Spaletti. Il y a un effet « waouh » dans le velours qui n’est pas en contradiction avec le type de peinture que je veux proposer. Je ne veux pas faire une peinture qui fasse peur aux gens. Éventuellement, ils peuvent ne pas comprendre ce qu’il y a derrière mais je ne veux pas les intimider. Le fait que les gens fassent des selfies me plaît bien parce qu’il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas faire une peinture qui soit séduisante au premier abord. Mais ce côté bel effet est répulsif pour les critiques d’art. Ils contestent cette recherche du trop beau, du trop brillant, de la trop grande dextérité. À les écouter, il faudrait faire du loupé conscient. Je n’ai jamais compris que ce soit comme ça en France. Quand on va chez le fleuriste, on achète de belles fleurs, on ne demande pas un bouquet moche et on ne reproche pas aux fleurs d’être belles. Pour moi, on peut jouer avec une forme de beauté, il n’y a pas de raison de ne pas le faire. Les choses intelligentes peuvent être belles également.
O.C. : Le velours donne un aspect soyeux mais vos couleurs sont souvent fluorescentes, un peu acides. Personnellement je trouve que cette palette chromatique n’est pas très aimable. Je n’ai pas l’impression que vous souhaitez proposer, comme Matisse, un fauteuil dans lequel se délasser.
R.H. : Matisse a fait des choses pas mal en termes de couleur flashy… C’est vrai que ce n’était pas fluo parce qu’il n’avait pas de peinture fluo. En fait, je crois qu’il n’y a pas de raison de laisser ces effets-là, qui sont des effets relativement faciles, aux autres domaines. Je crois qu’on peut faire de la bonne peinture avec de la couleur fluo.
O.C. : Mais ça accentue quand même le côté un peu factice, par rapport à cette question de la réflexion sur l’image que vous menez…
R.H. : Oui, bien sûr, et c’est aussi un hameçon facile: le fluo attire l’œil. Mais je ne fais pas que ça. Dans la série nommée À découvert, il y a presque six cent toiles, et quand on fait une exposition on n’en choisit qu’une. Prochainement, je vais faire une grande exposition en Suisse dans laquelle je vais en montrer une cinquantaine ; beaucoup ne seront pas fluo. Mais c’est sûr que sur instagram c’est plus attirant que le gris. Il y a quelques années, j’avais fait plusieurs peintures grises. Je voulais des peintures très frontales, avec ce rapport à la précision de la touche, un peu comme lorsqu’on est près d’un mur. J’ai trouvé un collectionneur que ça a vraiment amusé, mais sinon globalement c’est invendable. L’expression « le beau se vend mieux » est juste et Matisse l’avait bien compris, Picasso moins. J’aime la couleur, je ne m’interdis aucune couleur. Je m’amuse beaucoup avec le rose. Les couleurs fluos sont plus faciles à vendre et, encore une fois, il n’y a pas de raison de laisser ça aux graphistes ou aux digital painters. Même si j’aime bien les peintres hollandais qui peignent des dames serrées dans des robes grises, une robe du XVe siècle en soie, ce n’est quand même pas le même plaisir à regarder. En ce moment, j’y vais gaiement. Quand mon ancien galeriste, Jean Brolly, a fermé, j’ai un peu galéré pour retrouver une galerie… je me suis pris quelques vestes car je ne suis plus jeune. Maintenant, j’ai à nouveau une grande galerie. Ils ont un bel espace. Ce n’est pas la période la plus triste de ma vie alors j’utilise des beaux velours et des jolies couleurs, c’est aussi bête que ça.
O.C. : Qu’est-ce que le velours apporte à votre peinture ? Au-delà de la question esthétique ?
R.H. : Le velours me permet d’avoir cette possible peinture qui serait derrière et donc, si elle est derrière, c’est qu’il y a des choses devant et c’est le spectateur qui est devant. Le velours permet une profondeur qui pourrait se faire techniquement mais qui prendrait vraiment beaucoup de temps et qui serait peut-être moins cohérente et plus empâtée, plus faussement lyrique. Le velours me permet également de continuer à travailler ce que j’ai commencé depuis un certain moment : les endroits où il n’y a pas de peinture. Selon moi, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de peinture s’il y a un gesso. Pour moi, un gesso c’est déjà de la peinture ; une toile aussi c’est déjà quelque chose de pictural. Travailler sur d’autres supports me permet de créer de petits vides, c’est vraiment du non peint que j’essaie de garder. J’essaie d’accentuer la définition de l’image, de traiter la profondeur comme une sorte d’hyperréalité un peu comme le 4K est une hyperréalité (dans le bon sens du terme). Ça donne une grossièreté par rapport à la réalité. Il y a aussi une profondeur de touche qui serait presque un souvenir de peinture et je pense qu’il y a des espaces à trouver là-dedans. C’est comme le rouge qui flotte dans le chapeau de l’homme représenté dans « Soldat et jeune fille riant » de Vermeer, c’est seulement trois touches et pourtant c’est bien plus profond. Dans certaines toiles de Vermeer, il y a des personnages, une carte, et l’espace entre la carte et ses personnages n’est pas peint. Pour moi, ce type de chose, c’est la base de la peinture. Il y a une carte sur le mur mais il y a un espace entre la carte et le personnage qu’on est obligé de voir alors qu’il n’est pas peint. C’est un très haut niveau de peinture. Sur ce point, je m’oppose à pas mal de peintres modernes qui sont allés plutôt du côté d’une abstraction synthétisée, ou gestuelle, ou de l’ordre de l’effet. Ça me semble un abîme sans fond. Je ne crois pas qu’on puisse continuer à balancer des effets. N’importe quelles chaussures de marque dont je ne citerai pas le nom, à plus de 500 euros, a des effets colorés pas possibles et des matières incroyables. Un trois mètres sur trois d’un tissu mordoré à trois couleurs, c’est magnifique. Oui, ça en jette mais ce n’est pas de la peinture selon moi. En tout cas, ça ne peut plus l’être, je pense, en 2022. Piero Manzoni a montré que ça pouvait l’être avant car c’était justifiable dans la production de l’époque mais maintenant je ne crois pas que ça puisse le redevenir. Nous avons trop usé cette corde qui me semble maintenant bien finie. Mon souci est plutôt d’essayer de retravailler la lumière parce que la lumière c’est la base. Je me suis aperçu que, parmi mes contemporains, peu essayaient de la travailler. Même pour ceux qui essaient de le faire, leur lumière, que ce soit figuratif ou abstrait, on ne sait pas toujours d’où elle vient. C’est une question qu’on a mise de côté, sauf de rares exceptions comme Jules Olitski qui a fait une série de peintures qui sont très étonnantes, des espèces de monochromes avec un éclairage très particulier. Il y a quand même quelques personnes qui ont repensé ça mais elles sont rares. Il y a aussi cette interrogation : pourquoi croit-on en une image ? Pourquoi y croyons-nous quand n’importe qui fait une photographie ? C’est une question bête mais qui me semble importante. Même si c’est un mauvais appareil, même si la photographie est ratée, on va y croire ; ça ne devrait pas être normal. J’essaie de montrer les procédés qui font qu’on y croit. Il y a la cohérence de la lumière et même sur un très mauvais appareil cette cohérence existe. Il y a une cohérence de définition aussi. Qu’est-ce qu’il faut au départ pour que ça fonctionne ? C’est une question qui englobe le numérique comme la photographie, comme les dessins d’enfants… Ça englobe tout parce que la lumière est primordial… Ça paraît tellement évident qu’il me semble qu’on l’a un peu oublié. Pour l’instant, j’en suis là ; c’est vrai qu’à un moment il faut bien peindre quelque chose. J’ai mis du temps avant d’abandonner le monochrome. Je me suis rendu compte que c’était peut-être une solution de facilité. En tout cas en 2022, je ne voyais pas comment trouver un moyen pour ne pas redire ou refaire ce qu’ont fait les très grands du monochrome. Cela fait quelques années que j’ai accepté un peu plus de lyrisme. Ce n’est pas revendicatif parce que ce n’est pas le sujet mais je me suis dit « pourquoi pas ?». Certaines de mes toiles peuvent faire penser à la peinture des années soixante, à Helen Frankenthaler par exemple, mais ce n’est pas le sujet. Je pourrais faire un canard ce serait pareil, mais là je serais dans une forme d’ironie que je n’ai pas envie de développer. Mais ce n’est pas une revisitation des années soixante américaines ou françaises. Je me pose simplement la question « qu’est-ce que je vais faire avec ce que je vais poser sur la toile ? » Quand j’ai discuté avec Karim Ghaddab de mes peintures, il m’a dit une chose assez juste : il m’a dit que j’essayais de peindre la peinture. J’ai trouvé ça assez bien vu. Ça libère de la question du sujet. Et évidemment, il y a des restes de choses que j’ai vues quand j’étais plus jeune qui m’ont impressionné, que ce soit Julian Schnabel, Sam Francis, Robert Ryman, Gerhard Richter, Bernard Frize, Martin Barré. On est toujours prisonniers de ses premières références et ce sont des choses que je vois partout. Après, est-ce qu’on trouve vraiment des choses nouvelles ou est-ce qu’on ne trouve que des choses qu’on a déjà ? On reconnaît peut-être : est-ce que je pourrais être sensible à quelque chose que je n’aimerais pas ? Vaste question. Plus ça va, plus je me fais plaisir. Je suis entré chez Richard depuis quelques années, ça se passe bien. Ils me laissent faire la peinture que je veux, ça leur plaît ; j’ai un peu de confort donc je m’amuse.