La période néo-plastique de Mondrian débute en 1920 avec la parution de son manifeste Le Néo-plasticisme et se termine en 1933 par une œuvre dont l’esthétique ne répond plus aux principes de composition définis dans ce texte. Visuellement, ce système plastique se traduit par des lignes orthogonales noires sur fond blanc délimitant des sections dont certaines sont couvertes de couleurs primaires mais son auteur lui donne avant tout un but d’ordre politique. La Plastique nouvelle comme il la nomme également dans cet écrit constitue l’expression de rapports équilibrés qu’il s’agit de partager avec le plus grand nombre[1]. En effet, l’équilibre des rapports témoigne de l’harmonie et de l’unité, conditions nécessaires à l’avènement d’une société dans laquelle les individus se seront délivrés du particulier pour s’unir à l’universel.
Parce qu’il est convaincu que l’esthétique néo-plastique peut porter ce projet politique de justice internationale, Mondrian souhaite qu’elle se diffuse partout dans la société. La peinture de chevalet devra disparaître, les formes présentes sur les tableaux devront être reprises par le design et par l’architecture. Revenu de Hollande après la guerre, il applique les principes néo-plastiques de divisions de la surface à l’espace de son atelier parisien mais cette expérience d’un art total ne peut pas se limiter à cet espace privé visité seulement par quelques amis. L’artiste va donc inventer des procédés visant à faire reconnaître ses tableaux comme une simple portion d’une composition plus vaste.
Dans ses premiers tableaux abstraits, réalisés vingt ans plus tôt, lorsqu’il était influencé par le cubisme, les compositions étaient ellipsoïdales mais, avec son premier tableau néoplastique, le Tableau n° 1 de 1921, les lignes se prolongent jusqu’aux limites de l’œuvre. Elles conduisent le regard vers les bords de la toile.
Dans Tableau n° 11 effectué l’année suivante, Mondrian « zoome » à l’intérieur de la composition que le spectateur imagine, de ce fait, avoir été plus grande à l’origine.
En 1925, avec Composition I avec bleu et jaune, il invente le format en losange dont la forme inhabituelle insiste sur le caractère arbitraire de la découpe de la surface et donc sur son aspect parcellaire.
Enfin, en 1933, avec Composition avec lignes jaune, Mondrian rompt avec les principes néo-plastiques. Dans cette toile, les lignes sont jaunes et aucune des surfaces situées entre elles n’est couverte de couleurs. Avec cette œuvre, l’artiste réalise ce qu’on pourrait considérer comme un coup de génie car il place l’entrecroisement, c’est-à-dire la méthode même de composition, hors champ. Par ce moyen, il oblige cette fois le spectateur à situer son attention en dehors du cadre.
De la composition all-over jusqu’au principe compositionnel situé hors cadre en passant par le zoom ou le format losange, le projet sociétal de Mondrian a ainsi donné lieu à un ensemble d’œuvres innovantes. Attendu par une grande partie de l’avant-garde « l’homme nouveau » que l’artiste appelait de ses vœux n’est sans doute pas encore né mais le désir d’expansion propre au programme néo-plastique a apporté beaucoup à la tradition picturale.
[1] Piet Mondrian, « Le Néo-Plasticisme.», dans Piet Mondrian (dir.), Écrits français, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2010, pp. 27-63