Une soupe pour Van Gogh ! Sottie.

Une soupe pour Van Gogh ! Sottie.
Tribunes

Phoebe Plummer et Anna Holland, belliqueuses activistes, disciples occultes de Georges Perec, ont aspergés Van Gogh et ses tournesols de tomato soup. Que diable ! Bien avant elles, nous autres esthètes, avions déjà amplement soupé de ces fleurs jaunâtres et croûteuses, vues cent fois, reproduites à tort et à travers dans de mauvais livres d’art. Aussi sommes-nous à présent abasourdis d’entendre les deux héroïnes proclamer, d’un bon accent cockney, le sens ingénu de leur geste tomatobalistique : « il faut plus de food [ prononcez : feu-oud ] pour le peuple… » Aïe ! Doit-on témoigner autant d’indifférence pour le jugement esthétique ?

En effet, comme l’explique le responsable de Just Stop Oil, à l’origine de cette initiative dégoulinante mais intrépide, le choix du tournesol vangoghien fut vaguement déterminé, je cite, par « the connection between the cost of living crisis and the cost of fuel crisis and the climate crisis« [1]. Certes. Comment n’y avions-nous songé plus tôt ? Mais la soupe Heinz ? Son symbole coule et découle de source : beaucoup de gens à Londres, cet hiver, devront choisir entre se chauffer et se nourrir. On comprend qu’un tir de saucisse britannique, de sausage, nutriment plus calorique mais moins éclabousseur, n’aurait pas autant frappé les esprits… Heureusement que riche de ses traditions culinaires, la France du Président Macron ignore ce genre de problème : un gras cassoulet du Sud-Ouest réglera son compte à la Joconde, si toutefois elle persiste à sourire narquoisement des pauvres parisiens. Justement, un verte soldatesse de chez nous, bien digne du Concombre masqué, vient de proclamer son enthousiasme pour cette tomatomachie à l’anglaise, jugée par elle « très dérangeante » et par conséquent « hyper intéressante »[2]. Hyper forcément ! Fière d’un patronyme autrefois porté par le grand Douanier Rousseau, notre proclamatrice lui dispute la palme médiatique du genre hyper naïf. Car l’on se montre beaucoup moins outré Outre-Manche, à l’approche de la famine hivernale. Tout se passe comme si le flegme londonien se contentait – juste un peu plus qu’à l’accoutumé – de hausser le sourcil sur ce happening tomatier. D’ailleurs, jusqu’à quel point ce prétendu damage à Van Gogh n’était-il point convenu, voire officieusement calculé ?

Comme le relatent les enquêteurs, la présence d’une épaisse vitre blindée avait été prise judicieusement en considération par Just Stop Oil, dans la sélection de sa cible. Sélection respecteuse d’un génie pictural que le compte twitter de ce cérémonieux groupuscule, finalement fort poli dans sa provoc’ organisée à la National Gallery, a pompeusement nommé la « human creativity and brilliance » [https://twitter.com/JustStop_Oil/status/1580883254642499584]

On pouvait s’y attendre, les jeunes européens ne sont plus disposés à risquer gros. Des années de taule comme les Pussy Riot, ça ne leur dit pas. Non, ils préfèrent mégoter leur révolte, chipoter sur leurs profanations. C’est de la sousoupe qu’ils balancent, et contre des vitres en plus ! Serait-ce que bernées, aliénées comme les autres, Anna et Phoebe respectent au fond les valeurs ultimes du monde moribond, celui du profit des riches et de la misère des faibles, qu’elles haïssent et voudraient combattre ? En ce cas, redonnez-nous Filippo Tommaso Marinetti et son futurisme déchaîné contre Venise la passéiste dans son manifeste de 1910, oui, rendez-nous au moins le feu de cette révolte démolisseuse qui hurlait :  « Hâtons-nous de combler les canaux puants de Venise avec les ruines de ses vieux palais… Brûlons les gondoles… » Las ! Les seules gondoles qui intéressent nos activistes sont celles des super-marchés. L’art des musées capitalistes n’a donc vraiment rien à craindre d’eux, au contraire, et en voici la preuve affichée sur le compte twitter de Just Stop Oil, en date du 14 octobre : « à quoi sert l’art quand la société civile s’écroule sous nos yeux ? L’art, les artistes et le public amateur d’art doivent s’engager dans la résistance citoyenne s’il veulent vivre dans un monde où il restera des humains en circulation pour aimer l’art ». Ouf ! La boucle vertueuse est bouclée. Mais ciel ! En retard de plusieurs métros sur l’art contemporain, Anna et Phoebe ignorent-elles à quel point les artistes qui triomphent de nos jours sont depuis un bail au service de la vertu, de la morale et du bien de l’humanité ? Qu’Anna et Phoebe se rassurent, qu’elles regagnent leurs pénates, car un peu partout en Europe, l’Art et la Science, nouvelles vestales, protègent déjà de leurs mains virginales la flamme du Culte Sociétal et de la Morale Civique.

Nos vigoureuses gamines avaient beau arborer sur leur blanc T-shirt un crâne stylisé – ingénieuse trouvaille d’un visage de mort composant le mot « Oil » – leur innocence révolutionnaire déçoit un peu. Que de choses à apprendre ! Que de lectures à faire !

« Mange ta soupe et joue du piano » était la sage leçon de l’ancienne bourgeoisie à ses filles, dont la version moderne leur dit maintenant « Lance ta soupe sur Van Gogh et fais ta vidéo ».

[1] https://www.theguardian.com/environment/2022/oct/14/just-stop-oil-activists-throw-soup-at-van-goghs-sunflowers

[2] https://www.nouvelobs.com/ecologie-politique/20221015.OBS64672/sandrine-rousseau-soutient-l-action-des-militantes-ecologistes-qui-ont-jete-de-la-soupe-sur-un-van-gogh.html