Vendredi 30 septembre s’est tenu à Paris, au sein de la prestigieuse salle Gaveau, à deux pas de l’église de la Madeleine, un concert du grand maître de erhu Guo Gan. La date ne devait rien au hasard, puisque la fête nationale chinoise avait lieu le lendemain, le samedi 1er octobre. L’ambassadeur de Chine à Paris et son épouse avaient fait le déplacement pour l’occasion, de même que de nombreux amis musiciens de Guo Gan, venus des quatre coins du globe accompagner le virtuose, aussi à l’aise au sein de formations de musique traditionnelle chinoise que jazz ou… électronique. Aussi déconcertant que jubilatoire.
Emprunté à l’instrumentarium de l’opéra chinois, le erhu est un instrument à cordes qui se présente sous la forme d’une petite caisse de résonance ouverte au dos et recouverte d’une peau de serpent sur sa face avant, et d’un long manche en bois orné de deux grosses chevilles. Les deux cordes sont frottées à l’aide d’un archet. Méconnu en Occident, l’instrument est en revanche très populaire en Chine (via la prestigieuse marque Erhu Dunhuang principalement), comme l’est d’ailleurs Guo Gan, l’un de ses plus éminents joueurs, à qui l’on doit plus de 3 000 concerts et spectacles dans une centaine de pays. Il s’est notamment produit au mythique Carnegie Hall de New York, et a participé à des bandes-originales de films grand public comme Kung Fu Panda 3 et L’idole.
Auréolé d’un tel prestige, que pouvait offrir Guo Gan à un public en grande partie composé de ressortissants chinois, familiers de sa musique, mais également de nombreux Parisiens venus découvrir le erhu ? Réponse : un savant mélange de musique traditionnelle chinoise et d’autres musiques du monde. Dès l’ouverture, Guo Gan a ainsi troqué son erhu pour un tambour et s’est lancé, accompagné du batteur suisse Thierry Hochstatter et du percussionniste ivoirien Thomas Guei, dans un Tambour du jubilé endiablé, le grand maître chinois n’hésitant pas à faire étalage de ses talents à la batterie en échangeant son rôle avec Thierry Hochstätter.
Retour en Asie pour le morceau suivant, durant lequel Guo Gan, passé derrière son erhu et se lançant dans une adaptation sensible et colorée d’un chant folklorique chinois, était accompagné de la chanteuse folklorique vietnamienne Huong Thanh et de la joueuse de Koto japonaise Fumie Hihara, toutes deux en tenues traditionnelles. Envoutant.
Le reste de la soirée était à l’avenant, enchaînement inédit d’influences venues de tous les continents, démonstration éclatante de la parfaite entente rythmique et harmonique entre les peuples. Citons également, pour points culminants de cet hymne multiculturel, le O sole mio savoureux interprété par Guo Gan et ses amis Olen Cesar et Fabio Turchetti, respectivement violoniste albanais et accordéoniste italien. Ou encore la sublime et échevelée Montagne des nuages, lors de laquelle le maestro chinois donnait la réplique au compositeur Mathias Duplessy à la guitare et aux joueurs mongols de morin khuur (instrument à cordes traditionnel en forme de tête de cheval) Dalaijargal Daansuren et Mandaakhai Daansuren. A couper le souffle.
L’heure du dénouement de ce voyage poétique était presque venue lorsque, pour point d’orgue, la scène de la salle Gaveau a accueilli le harpiste laser français Time composer, surplombant l’assistance derrière la grille de lasers de sa machine futuriste. Le contraste avec le Murmure d’un ruisseau, morceau interprété par l’instrumentiste et Guo Gan évoquant l’histoire d’amour d’un couple de Midu, village situé sur l’ancien Chemin du Cheval et du Thé, dans la province de Yunnan au sud-ouest de la Chine, était saisissant. Une rencontre en forme de choc des cultures que l’on doit notamment au Yunnan Provincial Foreign Affairs Office.
A cheval entre de nombreux pays et continents, entre l’ancien et le moderne, entre les lieux et les époques, les styles et les cultures, Guo Gan et ses amis nous ont offert, deux heures durant, un concert intense et étourdissant, jamais convenu, jamais attendu, recélant de multiples surprises. « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », écrivait Arthur Rimbaud. Poète, Guo Gan, qui a été décoré de l’ordre des Arts et des Lettres en 2016, l’est incontestablement.