Derrière la figure de l’entrepreneur Sindika Dokolo, qui possédait jusqu’à son décès en octobre 2020 la plus grande collection d’art du continent, a émergé une véritable communauté de collectionneurs africains. Ces collectionneurs ont contribué à l’émergence d’une nouvelle scène pour les artistes du continent, capables de s’affirmer dans et en dehors des grands circuits de l’art internationaux.
La scène artistique africaine, vivier émergent pour collectionneurs d’un nouveau genre
En 1977, le Guinéen Alpha Ibrahima Sow s’interrogeait avec regret : « Comment se fait-il que, même en cette période postcoloniale, […] les grands collectionneurs, commentateurs et théoriciens des arts nègres soient toujours des Occidentaux ? » Si la collection du mécène Sindika Dokolo, forte de 5000 pièces classiques et contemporaines, avait réussi à faire mentir cet adage, le décès de l’entrepreneur congolais avait mis en émoi la communauté internationale de l’art. Celui qui avait réussi à devenir la figure tutélaire du collectionneur engagé d’art africain, s’était publiquement engagé à soutenir la création artistique du continent et à la faire reconnaître dans le monde. En dépit de sa réputation sulfureuse, Sindika Dokolo en était venu à représenter l’archétype du collectionneur africain, qui s’était donné pour mission de restituer les œuvres d’art africains volées à leurs musées d’origine.
Dans son ombre a néanmoins émergé une nouvelle génération de collectionneurs, exprimant un besoin de reconnaissance pour l’art du continent, encore trop souvent cantonné aux œuvres traditionnelles et boudé des grands salons internationaux. Attention néanmoins, nouveauté ne veut pas forcément dire jeunesse. Comme l’évoque le galeriste bruxellois Didier Claes, président du Brussels Non European Art Fair (Bruneaf), et fondateur de la plateforme Young Collector « Quand je dis Young Collector, cela signifie « jeune », mais pas « jeune » dans le sens générationnel ou de l’âge. C’est « jeune » par rapport à la première approche qu’on a pour la passion de l’art africain. »
De nouveaux réseaux de diffusion et de représentation de l’art africain
Ainsi d’Idelphonse Afogbolo. Cet homme d’affaires béninois, à la tête du cabinet de conseil Africa Capital Advisors, est devenu en 2021 commissaire général de l’exposition d’art contemporain « Contemporary Benin ». Cette exposition, qui présentait les œuvres d’artistes béninois confirmés à l’instar de Dominique Zinkpé ou de Julien Sinzogan, comme d’artistes émergents, comme Eliane Aïsso ou Senami Donoumassou, avait pour objectif d’être présentée dans l’ensemble de l’Uemoa, afin de provoquer un brassage artistique au sein de cet espace. L’exposition a ainsi reçu les honneurs d’Abidjan, de Cotonou ou de Dakar.
Un engagement politique autant qu’artistique, car pour Idelphonse Afogbolo, « plus les œuvres des artistes africains sont montrées en Afrique, plus le public africain aura l’opportunité de prendre conscience de la richesse culturelle de son continent. Il a été constaté que les visiteurs sont de plus en nombreux lors des expositions, pas seulement pour acheter, mais pour regarder. À cet égard, les galeristes font de gros efforts pour faire visiter les élèves et les étudiants. Ce qui est une excellente initiative à encourager, car cela participe à la formation artistique de la jeunesse et par-delà faire évoluer les mentalités. »
Pour George Forrest, les artistes doivent d’abord être soutenus par les collectionneurs de leur pays
Plus largement, des collectionneurs issus du continent ont également eu à cœur ces dernières décennies de placer au premier plan les artistes africains. Les dynasties financières et industrielles ont chacune développé leur fondation, à l’image de la Fondation BKJD, dirigée par l’entrepreneure Janine Kacou Diagou à la tête de NSIA Assurances en Côte d’Ivoire ou d’Illa Ginette Donwahi qui finance la Fondation Donwahi.
Au Congo, l’entrepreneur George Forrest, dont la collection a débuté par des œuvres classiques avant de s’ouvrir à l’art contemporain, a récemment détaillé son engagement pour la reconnaissance des œuvres congolaises lors d’un entretien au magazine d’art Prussian Blue. L’homme d’affaires, à la tête de l’une des plus importantes entreprises du pays, a ainsi ouvert une galerie dans son fief de Lubumbashi. « Pour que les artistes soient visibles il faut d’abord qu’ils soient soutenus par les collectionneurs de leur pays ; or les Congolais eux-mêmes n’achètent pas leur art… Grâce à des jeunes collectionneurs, les choses commencent à changer, mais ce n’est qu’un début, » prophétise George Forrest.
Pour le philanthrope, les œuvres des artistes congolais doivent d’abord rencontrer leur public auprès des Congolais, avant d’investir le grand circuit du commerce d’art international. Une nécessité qui requiert des aménagements à la hauteur de la tâche : « Jusqu’à récemment il n’y avait pas de musée aux normes internationales au Congo. Là encore, les choses évoluent, puisque la Corée du Sud a offert un musée qui accueille les collections de Mobutu Sese Seko, l’ancien président de la République démocratique du Congo. Mais il faut maintenant le faire connaître à travers une programmation ambitieuse. » Une chose est sûre, l’art africain, contemporain comme classique, a trouvé son foyer et ses porteurs de feux, prêts à le faire connaitre à travers le monde.