Avec le mois d’avril ouvre ses portes au Musée des Civilisations noires de Dakar une importante exposition consacrée aux rapports entre Picasso et l’univers visuel de l’Afrique. À vrai dire, cette brillante manifestation marque un retour, tout juste cinquante ans après une première présentation des oeuvres de Picasso au Sénégal, voulue par Léopold Sédar Senghor, et qui avait fait date. Que l’exposition de 2022 puisse être au rendez-vous est un petit miracle, tant le monde de l’art a été perturbé par les années de pandémie, auxquelles personne ne songeait en 2016 lorsque Laurent Le Bon, alors en charge du Musée Picasso Paris, a confié le projet à Guillaume de Sardes. Mais le soutien sans faille des institutions partenaires a finalement permis aux toiles et sculptures de Picasso et aux objets d’art africain d’instaurer leur dialogue, au fil d’un accrochage puissamment suggestif.
Serait-ce que le propos de « Picasso à Dakar, 1972-2022 » se résume à montrer l’influence exercée par les masques d’Afrique de l’Ouest sur la construction des portraits et des groupes du maître espagnol ? Cette dimension, qui fait consensus dans la critique, est honorée à la mesure de son importance. Mais le propos de l’exposition (et de son catalogue) est plus ambitieux. Les organisateurs entendent déceler, entre les « faiseurs d’images » des deux continents, une véritable communauté de geste qui se mue, encore plus fondamentalement, en communauté d’intention. Quelle est la force qui met en branle le génie de Picasso, demande Guillaume de Sardes, co-commissaire, dans son bel essai, sinon une conception de « l’art comme exorcisme » ? On se prend alors à penser, dans les salles du Musée des Civilisations noires, que la familiarité quotidienne avec les images africaines a contribué à donner forme à un rapport au monde décisif pour notre modernité.
« Picasso à Dakar, 1972-2022 », Musée des Civilisations noires de Dakar, jusqu’au 30 juin.